LETTRE DE ROME
Tout a commencé par un signe. Deux index posés l’un devant l’autre tracent une croix en forme de X. L’image est extraite d’une vidéo de campagne tournée en prévision des élections européennes. Les doigts en question appartiennent à un candidat singulier : le général Roberto Vannacci. Ce militaire de 55 ans, suspendu par sa hiérarchie, a percé dans le débat public italien en août dernier grâce à un livre édité à compte d’auteur qui a rencontré un immense succès. En se prévalant du « bon sens », il y déroule les grands standards de la droite réactionnaire, de considérations sur le substrat ethno-racial de la nation italienne en imprécations contre les homosexuels et les défenseurs de l’environnement.
Pour tenter de conserver un électorat qui tend à le bouder, le vice-premier ministre et chef de file de la Ligue (extrême droite), Matteo Salvini, s’est attiré les faveurs de ce général à la radicalité calme et courtoise, faisant de lui la tête de liste du parti pour les élections européennes dans deux des cinq circonscriptions italiennes. Le geste de Roberto Vannacci aurait donc été une simple invitation adressée aux électeurs à marquer d’une croix leurs bulletins de vote au niveau du logo de la Ligue. Cela a peut-être fait son effet : le militaire a été élu haut la main dimanche 9 juin et la Ligue a sauvé l’honneur en arrivant à 9 % des suffrages exprimés. Pourtant, en Italie, le signe effectué comme un clin d’œil par le militaire est nimbé d’une polysémie bien particulière.
Car faire une croix avec les doigts, c’est aussi symboliser le nombre dix en chiffres romains, ces derniers étant utilisés pour figurer les nombres cardinaux en italien. « Faites une dixième », s’exclame d’ailleurs dans la vidéo Roberto Vannacci en faisant son geste devant un drapeau italien flottant au vent. Avec un peu de contexte, on comprend que le général fait référence à la célèbre dixième flottille MAS ou X MAS, dont les trois lettres reflètent la devise du poète et nationaliste exalté Gabriele D’Annunzio : memento audere semper ou « souviens-toi d’oser toujours » en latin.
Un passé jamais vraiment digéré
Cette unité militaire de l’Italie fasciste est connue pour ses crimes de guerre et pour la fidélité qu’elle a témoignée jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale à ce qui restait du régime, alors que le dictateur Benito Mussolini (1883-1945) n’était plus, après 1943, que le chef d’un Etat croupion placé sous la coupe des nazis, la république de Salo (1943-1945). Après cette nouvelle intrusion du passé jamais vraiment digéré de la période fasciste dans une Italie gouvernée par l’extrême droite où ces échos historiques sont fréquents, la polémique a été immédiate. Elle se poursuit une semaine après les élections.
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