L’homme observe les eaux tranquilles du golfe. « Vous voyez, dit-il en pointant le milieu des flots, c’est là-bas que je suis né. Quand je suis sur ma barque, je me penche parfois sur l’eau et je me dis : “Ma maison est là, sous moi.” » Manuel Jesus Hernandez, 54 ans, est un pêcheur de Cedeño. Ou de ce qui reste de cette petite ville sur le golfe de Fonseca, sur la côte Pacifique du Honduras, à une centaine de kilomètres au sud de Tegucigalpa, la capitale. La maison où Manuel est né se trouve aujourd’hui au fond de l’océan, tout comme une partie du bourg de 5 000 habitants.
Le Honduras, pays au taux de pauvreté de 64 %, le plus élevé d’Amérique latine après Haïti, est aussi l’un des plus vulnérables aux effets du changement climatique. Particulièrement affecté ces dernières années par les tempêtes, les inondations mais aussi la sécheresse, il a subi, coup sur coup, les effets de l’épidémie de Covid-19 et des ouragans Eta et Iota en novembre 2020, qui ont provoqué une grave crise alimentaire.
Quand on marche sur la plage de Cedeño, où sont éparpillées des poutres de ciment dressées inutilement vers le ciel ou des tiges de métal rouillées, il faut s’imaginer qu’il y avait là restaurants, hôtels, boîtes de nuit, boutiques. Une petite cité balnéaire, aujourd’hui à moitié engloutie. La première avenue du bourg, un des vingt et un qui composent la municipalité de Marcovia, dans le département de Choluteca, apparaît encore sur Google Maps, mais dans l’eau. Selon la mairie, cinq rues ont ainsi été submergées. Dans l’école grignotée par le sable et abandonnée depuis 2019, que Manuel a fréquentée enfant, gisent encore les pupitres de bois. « C’est le Pacifique qui est notre maître, il nous fait payer ses impôts. Tout est tellement triste », glisse l’homme, au pied d’une grande citerne en ciment sur pilotis, prête à s’effondrer à son tour.
Selon une étude effectuée par le Comité pour la défense et le développement de la flore et de la faune du golfe de Fonseca (Coddeffagolf), la mer a avancé de 105 mètres depuis 2005. « Si rien ne change, Cedeño devrait disparaître d’ici à la fin du siècle », avance Jorge Reyes, du Comité.
« Tout ce que j’ai gagné est sous l’eau »
Ondina Calderon, 75 ans, était la propriétaire de l’hôtel San Simon, un bâtiment sur deux étages avec dix-sept chambres et une piste de danse, ainsi que de plusieurs restaurants. « Quand j’étais jeune, j’ai pu partir aux Etats-Unis, économiser et revenir investir ici… et puis la mer a tout emporté, sanglote-t-elle, prostrée depuis un accident vasculaire cérébral en 2021. Tout ce que j’ai gagné aux Etats-Unis est sous l’eau. » Les grandes marées inondant Cedeño ont toujours existé. Mais depuis le dévastateur ouragan Mitch en 1998, l’eau ne se retire plus. Année après année, elle grignote la plage, enfouissant les constructions sous le sable.
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