Elle est sympa, Or. Elle gère avec son petit copain un club de « footsy volley » – du volley-ball avec les pieds. Menus, musclés, ils sont tombés amoureux sur cette plage d’Ashdod qui donne vue sur le plus grand port industriel d’Israël et sur sa raffinerie. Les week-ends, ils partent en rave, danser dans la nature. Depuis deux semaines, elle est aussi journaliste. La chaîne 14 l’a prise à l’essai. A 21 ans, Or Tzaidi, sans études, sans CV, sans connexions, écrit des articles pour le site Internet de ce vortex de commentaires à petit budget mais très suivi. Acquise aux droites israéliennes, sa jeune chaîne contribue à normaliser un discours aux relents génocidaires, dans le neuvième mois de la guerre à Gaza. « Ils veulent des jeunes, du sang neuf », dit la jeune femme, qui préférerait écrire des posts sur les réseaux sociaux, mais il faut bien commencer quelque part.
Ils ont l’œil, ses rédacteurs en chef. Or Tzaidi est tout à fait dans l’air du temps. Elle veut vivre légère. Elle veut « parler vrai », comme son champion, le ministre de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir. Dans les yeux d’Or, cet homophobe antilibéral qui croit en la suprématie de la loi divine et en celle du peuple juif, est un « démocrate ». Il ne lui paraît pas un obstacle au féminisme. La guerre raciale contre les Arabes qu’il a prônée toute sa carrière ? « Nous savons aujourd’hui que nous ne pouvons pas vivre ensemble. Il n’y a pas de solution, mais on peut réduire le problème », estime Or. La politique de la faim et le nettoyage ethnique à Gaza, pour lesquels il milite ? « Ils partiront volontairement, si Israël propose des incitations », veut-elle croire.
On l’oublierait aisément, en ce vendredi incandescent où Ashdod fait trempette dans la mer, avant le dîner du shabbat : l’enfer de Gaza s’ouvre à une vingtaine de kilomètres à peine, au sud. Mais il y a quelques rappels : ces grues à l’arrêt, ces chantiers de construction vides, faute d’ouvriers palestiniens, interdits de territoire durant la guerre. Ces affiches à l’effigie des otages israéliens du Hamas, qui défraîchissent et disparaissent. Quand a-t-on cessé d’en coller en ville ? Or et son copain, Ruben Dray, ne sauraient le dire. Après six mois de vaches maigres, leur affaire de foot-volley a repris en mars. Récemment, ils ont organisé un tournoi en soutien aux captifs du Hamas, à la demande de familles qui s’échinent à ce qu’on ne les oublie pas.
Dans ce bastion de la droite israélienne, on pense beaucoup aux otages. Mais c’est manière de faire leur deuil. Ils gênent. Leur calvaire légitime la guerre. Mais il n’est pas question qu’Israël y mette fin pour les libérer, à la faveur d’un accord négocié avec le Hamas. « Il n’y a pas beaucoup de nuances dans ma ville, soupire le grand poète d’Ashdod Sami Shalom Chetrit. On dirait que nous avons une équipe de foot qui joue quelque part et que nous sommes devenus une foule de supporteurs. Nous nous époumonons en slogans vides : “Ensemble nous vaincrons”, “Victoire totale”, “Ramenez-les à la maison.” »
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