L’imposante silhouette de la citadelle d’Alep se découpe sous le clair de lune. Des vendeurs de barbe à papa et de maïs grillé hèlent les familles syriennes endimanchées, qui arpentent la promenade longeant les douves. D’une terrasse couverte s’échappent les notes d’un concert de musique traditionnelle, joué pour une poignée de privilégiés de l’élite alépine. Dans les cafés aux guirlandes lumineuses, l’odeur des narguilés se mêle à la voix entêtante de Sabah Fakhri, gloire disparue de la chanson arabe, originaire de la ville. Le temps d’une soirée d’été, chacun tente d’oublier les blessures de la guerre et l’âpreté de la crise économique.
A l’attention de nos lecteurs
Les « carnets de Syrie » sont une série de reportages réalisés à l’été 2024. Pour des raisons de sécurité, certaines des personnes citées s’expriment sous pseudonymes. Pour ces mêmes raisons, le nom des auteurs de ces reportages n’est pas mentionné.
Surplombant la ville, la citadelle médiévale a été le théâtre de la bataille qui opposa, de juillet 2012 à décembre 2016, les forces loyales au président syrien, Bachar Al-Assad, retranchées derrière les murailles et dans les quartiers ouest d’Alep, aux rebelles qui contrôlaient le centre historique et les quartiers orientaux. Au terme de deux sièges et au prix de combats dévastateurs, l’armée du régime, soutenue par l’aviation russe et des milices chiites proches de l’Iran, avait fini par reprendre la ville.
Les stigmates de ces affrontements sont encore visibles dans les immeubles éventrés du quartier fantôme qui jouxte la citadelle et dans les ruines noircies du souk. Sur près de 3 millions d’habitants que comptait la cité avant la guerre, plus de 30 000 sont morts – en grande majorité des civils – et 1 million ont fui, selon le décompte réalisé par l’ONG Violation Documentation Center, le Centre de documentation des violations en Syrie. La moitié des logements ont été détruits ou endommagés, principalement dans les quartiers est. Le tiers du centre historique, classé au Patrimoine mondial de l’Unesco, a été réduit en cendres. Ce qui reste est fortement dégradé. Le séisme qui a endeuillé le nord-est de la Syrie et la Turquie voisine, le 6 février 2023, a encore assombri ce triste tableau.
La ville martyre, antique et prospère cité au carrefour des routes de la soie, poumon économique de la Syrie avant la révolution de 2011, a perdu une partie de son héritage culturel et de son tissu industriel. « C’est une part de notre âme, de l’identité de la ville qui a disparu, se désole un artiste alépin. Les enfants ne connaîtront pas cette histoire ; ça me fait mal de voir ma cité divisée et démolie. »
Au petit matin, des ouvriers recrutés par l’agence des Nations unies pour le développement déblaient des gravats à l’entrée du souk. L’immense marché couvert, qui abritait des milliers d’échoppes et plusieurs dizaines de caravansérails vieux de plusieurs siècles, commence à peine à reprendre vie. Des chantiers de réhabilitation, commencés dès 2017, sous la houlette de la Fondation Aga Khan, avec l’Unesco et le controversé Syria Trust for Development dirigé par l’épouse du président Al-Assad, ont restauré quelques allées marchandes. La Fondation Akhmad Kadyrov, liée au dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov et à Moscou, a rendu à la mosquée des Omeyyades son minaret de 45 mètres de haut, détruit par des bombardements, en 2013.
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