Paris, le 28 août 2024
Chers lecteurs, chères lectrices,
Cet été, je me suis sentie heureuse : en juillet, j’ai accueilli ma mère, en août, mon père. Ils ont fait la connaissance de leur petit-fils, mon fils, qui a 6 mois désormais. Mais, heureuse, je ne le serai véritablement que si je pouvais voir ma Sasha. Ce qui est impossible pour le moment.
Mon père est encore là, en France, avec nous. Nous discutons beaucoup tous les deux. Même de sujets comme l’allaitement maternel. En Ukraine, toutes les femmes allaitent ou presque, c’est très populaire. En ce qui me concerne, j’ai eu envie de faire appel à une conseillère en allaitement de nationalité ukrainienne. J’ai découvert Khrystyna, qui vit à Kyïv [Kiev, en ukrainien], sur Instagram et je suis entrée en contact avec elle. Elle m’a conseillée et j’ai aussi découvert que son métier avait vraiment évolué depuis la grande invasion.
J’ai appris des choses que je ne soupçonnais pas sur le quotidien des mères en guerre. Avec l’arrivée des russes [Olga et Sasha ont choisi de ne pas mettre de majuscule à « russe » et « russie »], les bombardements et l’occupation, Khrystyna accompagne des femmes pour qui l’allaitement maternel est littéralement une question de survie pour leurs enfants. Sans eau potable ni nourriture, le lait maternel sauve des vies. Le soutien d’une professionnelle est crucial pour que la mère garde un équilibre mental et poursuive l’allaitement. Comme à Marioupol, où, à distance, elle a suivi des mères dans des situations terribles.
Khrystyna m’a aussi raconté qu’elle avait fait beaucoup de consultations gratuites et qu’elle conseillait des Ukrainiennes réfugiées dans le monde entier. Tant de femmes ont des difficultés à allaiter à cause du stress généré par la guerre. Elle a même créé une plate-forme d’échanges sur Telegram qui s’appelle Vilne Moloko, « le lait libre », où les mères peuvent discuter et trouver une donneuse de lait. Un peu comme une banque solidaire de lait maternel. Moi, elle m’a beaucoup soutenue, mais, surtout, son rôle dans ce que nous vivons – permettre à des bébés ukrainiens de vivre – apporte tellement à notre nation. A sa survie.
Il y a une expression ukrainienne qui dit qu’on apprend une langue avec le lait de sa mère. Moi, même si ça n’était pas avec le lait maternel mais à l’école puis à la fac que je l’ai appris, l’ukrainien est désormais ma langue maternelle. Il m’est devenu si cher et précieux, il nous coûte tellement de vies, que pour rien au monde je ne changerais.
Vous le savez, le sujet de la langue me questionne beaucoup et comme j’avais eu des discussions à ce propos avec ma mère en juillet, j’ai décidé de faire de même avec mon père, qui est, comme ma sœur et moi, professeur de français. Ses parents parlaient en ukrainien, mais uniquement à la maison. Papa me rappelle qu’à cette époque parler ukrainien c’était passer pour un villageois bas de gamme, c’était appartenir à un genre de sous-peuple campagnard. « Si tu ne parlais qu’ukrainien, tu ne pouvais pas faire carrière ni faire d’études. Toute la littérature scolaire était en russe. C’était la russification totale », m’a-t-il dit.
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