LETTRE DE MOSCOU
L’assassinat d’un blogueur ultranationaliste dans un café de Saint-Pétersbourg, le 2 avril, pourrait faire une victime collatérale inattendue : le mouvement féministe russe. Selon la version officielle un rien baroque, la principale suspecte, la jeune femme qui a offert une statuette piégée au blogueur, aurait agi en coordination avec, à la fois les services secrets ukrainiens et des responsables en exil du mouvement d’Alexeï Navalny, l’opposant emprisonné.
Les médias russes, eux, s’intéressaient avec une certaine gourmandise à un autre aspect de la vie de Daria Trepova, auteure présumée de l’attentat : son intérêt pour le féminisme (et le véganisme), visible sur les réseaux sociaux. Il n’en fallait pas plus pour que des dizaines d’anonymes et d’officiels établissent un lien. Ces derniers se sont rapidement trouvé un porte-parole en la personne d’Oleg Matveïtchev, député à la Douma, la Chambre basse du Parlement russe, du parti au pouvoir, Russie Unie. Pendant plusieurs jours, M. Matveïtchev s’est répandu en interviews à la télévision et dans les journaux pour défendre sa proposition : reconnaître au « féminisme radical » le statut « d’idéologie extrémiste », avec comme conséquence évidente, son interdiction.
« Après le 24 février [2022, début de l’invasion de l’Ukraine], toutes ces féministes ont pris position contre “l’opération militaire spéciale”, a-t-il par exemple expliqué à la première chaîne de télévision. Ça pourrait paraître normal, ce sont des femmes, elles sont pour la paix. (…) Mais ce sont toutes des agents de l’Occident. Elles cherchent à détruire nos valeurs traditionnelles, leurs actions vont contre l’orientation donnée par Vladimir Poutine. Elles défendent le divorce, le célibat, l’avortement. Elles nuisent à la politique démographique de la Russie. Et, à l’Ouest aussi, les féministes sont toutes contre Poutine et la Russie. » Ailleurs, le député s’est montré encore plus clair : « C’est un nid pour le recrutement de terroristes. »
Les violences domestiques dépénalisées
La proposition de loi déposée par M. Matveïtchev reste, pour l’heure, à l’étude au sein de la commission de la Douma chargée de la lutte contre les influences étrangères. De l’avis général, les chances qu’elle soit mise au vote sont faibles : non seulement le texte ne définit pas clairement les organisations qui seraient concernées mais, surtout, il manque un signal clair de Vladimir Poutine pour que les députés osent franchir un tel pas.
Or, si le président russe accuse régulièrement l’Occident de promouvoir l’homosexualité, la pédophilie ou le changement de genre et défend une vision très patriarcale de la famille, il n’a jamais critiqué ouvertement le féminisme – considérant apparemment que le thème est trop sensible ou pas assez porteur pour son audience tant intérieure qu’extérieure.
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