Rien ne va plus chez ThyssenKrupp, le conglomérat industriel de la Ruhr aux deux cents ans d’histoire mouvementée. Alors que sa division acier, ThyssenKrupp Steel Europe (TKSE), a plongé dans le rouge fin 2023, la direction de l’entreprise est en conflit ouvert depuis une semaine sur les mesures de redressement. Jeudi 29 août, pas moins de sept membres du directoire et du conseil de surveillance de Steel Europe, souvent des personnalités célèbres du monde économique, ont remis leur démission, dans un mouvement collectif inédit au sein d’un grand groupe allemand. L’équipe dirigeante se déchire sur la meilleure façon de sauver le premier aciériste du pays, alors que la demande s’effondre et que l’entreprise doit en même temps financer sa décarbonation.
Le climat est si tendu que le ministre de l’économie lui-même, Robert Habeck, s’est exprimé sur le conflit. « La situation chez ThyssenKrupp s’est envenimée de tous côtés à tel point que les positions sont irréconciliables. Ce n’est pas une bonne situation », a-t-il déclaré à la presse locale. Pour stabiliser la situation, les représentants des salariés ont appelé l’Etat à entrer au capital, mais l’option a été immédiatement rejetée par le gouvernement, déjà en proie avec des problèmes budgétaires considérables. Le conflit a mis en évidence des positions radicalement opposées sur la façon de poursuivre la scission du groupe, en vendant une partie de la division acier à un repreneur prêt à investir.
Au printemps, un candidat avait été trouvé en la personne du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, spécialiste de la reprise d’activités en déclin. Il a acquis 20 % des parts de TKSE, via sa société EPCG, avec l’ambition de faire monter sa participation à 50 %. Samedi 31 août, Sigmar Gabriel, président démissionnaire du conseil de surveillance et ancien vice-chancelier social-démocrate, a renversé la table en appelant à la vente complète de la division acier à l’homme d’affaires tchèque.
Ce scénario a été immédiatement rejeté, dimanche, par le patron de ThyssenKrupp, Miguel Lopez, qui veut que le conglomérat conserve 50 % des parts. « L’acier appartient à la Ruhr, et cela doit rester ainsi », a-t-il fait savoir. La vente totale était également critiquée par les représentants des salariés, qui redoutent des coupes dans les effectifs.
Une compétitivité érodée
Les hauts-fourneaux et laminoirs de Duisburg, Bochum et Dortmund, qui produisent de l’acier de haute qualité destiné largement à l’industrie automobile, emploient au total 27 000 personnes. L’aciériste incarne comme aucun autre l’histoire industrielle allemande depuis le XIXe siècle, et le capitalisme rhénan. Berceau de la codécision à l’allemande, l’entreprise fait traditionnellement l’objet d’une attention politique exceptionnelle, aussi bien dans le fier Land de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, le plus peuplé d’Allemagne, qu’à Berlin. Cela explique pourquoi, en 2022, le groupe a reçu une subvention du gouvernement de 2 milliards d’euros pour convertir ses fours à l’hydrogène : l’acier du Rhin doit devenir un modèle de production décarbonée. Dans la Ruhr industrielle, où le ciel est si bas, la vision d’avenir s’appelle « acier vert ».
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