LETTRE DE NEW YORK
Il est l’homme qui peut faire tomber Donald Trump. Alvin Bragg, un Afro-Américain de 50 ans, est le procureur du district de Manhattan. Un poste majeur, au cœur de l’empire de la finance américain. Un poste électif, où l’on dure : seuls quatre procureurs ont été titulaires de ce poste depuis 1942. Il pourrait, dans les jours qui viennent, inculper et présenter à un juge l’ancien président des Etats-Unis, une première.
Lorsqu’il fut élu en novembre 2021, Alvin Bragg n’avait pas fait campagne sur le cas Donald Trump, alors totalement discrédité par l’attaque contre le Capitole, le 6 janvier précédent. Il incarnait la gauche du parti et voulait concilier, un an après les manifestations provoquées par le meurtre de l’Afro-Américain George Floyd par un policier blanc de Minneapolis, « l’équité et la sécurité » à New York. Un contraste avec Eric Adams, un ancien policier de Brooklyn, élu le même jour maire de la ville : ce dernier avait fait campagne essentiellement sur la sécurité et le business, dans une ville frappée par la reprise du crime depuis la pandémie de Covid-19 et le mouvement Black Lives Matter (« les vies noires comptent »).
Alvin Bragg est un enfant de Harlem, où il est né en 1973. C’est l’époque où la ville, en faillite, sombre dans la violence, qui culminera avec la guerre de la drogue à la fin des années 1980. Bragg expérimente la violence des rues, avec un couteau pointé sous sa gorge par des adolescents en plein jour. Et celle des policiers, qui lui mettent un pistolet sur la tempe à l’âge de 15 ans, en lui demandant s’il a de la drogue et en le fouillant. Des incidents qui se reproduiront plusieurs fois. « Il n’y avait pas besoin d’avoir fait du droit pour savoir que c’était illégal », commentera M. Bragg au New York Times. De là naît sa passion pour le droit et la lutte contre l’injustice, dans une ville où les autorités jettent dans la sinistre prison de Rikers Island les jeunes noirs et latinos par milliers à la première incartade.
Dossiers sensibles
A la différence de nombreux Afro-Américains, Alvin Bragg grandit dans un environnement familial propice aux études – une mère professeure de mathématiques qui le tient à l’œil et un père qui travaille à la New York Urban League, une association d’aide aux Noirs. Il suit le cursus des élites américaines : Trinity School, dans l’Upper West Side, master à Harvard puis un doctorat de droit à la prestigieuse Harvard Law School, où le précéda un certain Barack Obama.
A partir de 2015, il dirige une cellule chargée de poursuivre les violences policières. En 2017, il traduit en justice un policier, Wayne Isaacs, accusé d’avoir tué un Afro-Américain désarmé. Isaacs dit avoir été agressé, les vidéos semblent attester du contraire et pourtant, le jury acquitte le policier (lui-même afro-américain). « J’étais démoralisé, j’avais le sentiment que notre système ne fonctionnait pas », confiera M. Bragg. Le système a continué à ne pas fonctionner. Sa cellule n’a obtenu aucune condamnation en vingt-quatre procès. L’homme y voit la nécessité de poursuivre le combat.
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