Au printemps 2022, Leilah Zahedi-Spung, gynécologue obstétricienne à Chattanooga, dans le Tennessee, n’avait pas d’inquiétude particulière pour son avenir. Bien qu’elle n’ignore rien des attaques des conservateurs contre l’interruption volontaire de grossesse (IVG), elle n’imaginait pas que le droit à l’avortement puisse être remis en question par la Cour suprême. « Un précédent établi depuis cinquante ans, souligne-t-elle. Il n’y avait aucune chance que les juges le renversent. »
Le 24 juin, elle a compris que sa situation allait « changer radicalement » et qu’il deviendrait probablement « dangereux » pour elle d’exercer son métier. Ce jour-là, la Cour suprême a rendu une décision qui, en renvoyant le droit à l’avortement aux Etats fédérés, a bouleversé la géographie des soins touchant à la reproduction aux Etats-Unis. Et, en même temps la vie de nombreux médecins. « J’ai essayé de rester positive, décrit Mme Zahedi-Spung. Je voulais demeurer dans le Tennessee », l’Etat du sud des Etats-Unis où elle avait été recrutée en octobre 2020, après quatre ans d’internat en gynécologie obstétrique et une spécialisation en traitement des grossesses à risque élevé.
« Traiter une grossesse extra-utérine devenait criminel »
La médecin était la seule à pratiquer des avortements chirurgicaux, au dernier trimestre de grossesse, dans cette ville de 167 000 habitants, dominée par les conservateurs. « En arrivant, je savais où je mettais les pieds, dit-elle, mais j’ai accepté ce poste parce que les femmes de la région ont besoin de soins. »
Trente jours après la publication de la décision de la Cour suprême, la loi ultra-restrictive, adoptée par avance par l’Assemblée du Tennessee, est entrée en vigueur. Non seulement elle interdit les avortements, mais elle ne fait aucune exception. « Traiter une grossesse extra-utérine devenait criminel, relate la praticienne. La seule protection – entre guillemets – dont le médecin bénéficie est ce qui est qualifié de “défense affirmative”. Je serais immédiatement inculpée ; je pourrais défendre mes actes devant un jury et être acquittée, mais je perdrais automatiquement ma licence et je ne pourrais plus exercer. »
Mme Zahedi-Spung a pris un avocat pénaliste, qu’elle a consulté avant chaque intervention d’urgence. « J’avais vraiment peur d’être poursuivie pour quelque chose que j’aurais fait alors que j’essayais de sauver la vie d’une patiente. » Finalement elle en a eu assez de travailler dans un milieu hostile. Assez de devoir faire des politesses à tout le monde – infirmières du bloc opératoire, assistants, anesthésiste – juste pour faire son métier. « Un pneumologue ne se soucie pas d’être gentil quand il intube un patient, s’indigne-t-elle. Moi, il fallait que je me plie en quatre, juste parce que certains n’aiment pas le fait que le fœtus a un battement cardiaque ! »
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