« La France continuera, aussi longtemps que nécessaire, à rétablir des contrôles à ses propres frontières, comme le permettent les règles européennes, et comme l’Allemagne vient de le faire », a annoncé Michel Barnier lors de sa déclaration de politique générale, le 1er octobre. Depuis le 16 septembre, en application d’une modification des statuts de l’espace Schengen, l’Allemagne a en effet rétabli des contrôles individuels à la totalité de ses frontières, y compris avec la France, pour six mois reconductibles, dans une mesure à la puissante portée symbolique.
La décision fait suite à un résultat électoral historique – l’extrême droite allemande a remporté pour la première fois depuis 1945 des élections régionales, le 1er septembre, en Thuringe – et témoigne des déchirements outre-Rhin autour de la question des réfugiés politiques, notamment syriens et afghans, les plus visés. Pour autant, la décision de Berlin s’inscrit dans une longue histoire, qui est spécifique à l’Allemagne : celle d’une immigration aussi indispensable que décriée.
Après-guerre, une politique d’asile et un besoin de main-d’œuvre
Le droit d’asile est inscrit dans la constitution de l’Allemagne de l’Ouest, la Grundgesetz, ou « loi fondamentale », depuis 1949. Il s’agit du seul droit fondamental accordé aux étrangers, et un engagement assumé au sortir de la seconde guerre mondiale. « L’Allemagne a vécu le traumatisme du national-socialisme et a pris conscience de sa responsabilité, elle souhaite mettre en avant les droits humains », décrypte Jeanette Süss, chercheuse à l’Institut français des relations internationales.
Cette politique d’accueil s’est rapidement doublée d’un besoin de main-d’œuvre, en plein miracle économique de l’après-guerre. C’est ainsi que Bonn, la capitale de l’Allemagne de l’Ouest, signe ses premiers accords avec l’Italie (1955), l’Espagne et la Grèce (1960), la Turquie (1961), le Maroc (1963), le Portugal (1964), la Tunisie (1965) puis la Yougoslavie (1968) pour recruter des Gastarbeiter, des « travailleurs invités ».
Dans l’esprit des dirigeants d’alors, ceux-ci ne devaient rester que deux années maximum. Mais, explique l’historien Wolfgang Benz dans Migrations, intégrations et identités multiples (Presse Sorbonne Nouvelle, 2011), « [les] travailleurs immigrés voulaient au contraire faire venir leur famille et ne souhaitaient pas retourner chez eux après un court séjour. Ils eurent des enfants en Allemagne qui avaient peu de liens avec leur pays d’origine ».
C’est ainsi qu’à partir des 2 500 premiers travailleurs turcs en 1961, croît la première communauté d’origine étrangère du pays, estimée au début des années 1990 à 3 millions de personnes. Tout en revendiquant le contraire, et malgré des dispositifs d’incitation au retour, l’Allemagne de l’Ouest est devenue, de fait, un pays d’immigration.
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