La décision a pris tout le monde par surprise. A l’occasion d’un gala officiel organisé pour la fête de l’indépendance de la Biélorussie, le 3 juillet, son dirigeant, Alexandre Loukachenko, a soudainement annoncé que les prisonniers « très gravement malades » pourraient être libérés, avant de signer dans la foulée une loi d’amnistie. Dix-huit personnes, dont quatre femmes, ont été relâchées depuis, et d’autres libérations pourraient intervenir dans les jours ou semaines à venir. « Nous devons agir avec humanité », a déclaré le dictateur en guise d’explication. Il n’a pas précisé le nombre total de prisonniers susceptibles d’être libérés, mais a indiqué que cette mesure concernerait principalement ceux qui souffrent d’un cancer.
L’ancien dirigeant du Front populaire biélorusse, Ryhor Kastoussev, 67 ans, a été libéré le 3 juillet, après plus de trois ans derrière les barreaux. En septembre 2022, l’opposant avait été reconnu coupable de « complot en vue de s’emparer du pouvoir de l’Etat » et condamné à dix ans de prison. Transféré à plusieurs reprises dans une cellule disciplinaire, il a vu sa santé s’aggraver, et un cancer lui a été diagnostiqué.
D’autres prisonniers politiques souffrent eux aussi d’un cancer, parmi lesquels l’ancienne présentatrice de la télévision d’Etat Ksenia Loutskina, condamnée à huit ans de prison, et Rouslan Sloutsky, un militant d’opposition qui purge une peine de onze ans pour avoir saboté une route où devait passer un rassemblement progouvernemental en novembre 2020, après la réélection contestée d’Alexandre Loukachenko. On ignore si ces derniers ont été libérés à ce jour : les défenseurs des droits humains gardent le silence sur l’identité des prisonniers relâchés pour ne pas compromettre leur sécurité et le processus en cours.
La Biélorussie compte plus de 1 400 prisonniers politiques, soumis à un régime de mauvais traitements et de torture systémique, selon l’ONU. Six personnes sont déjà mortes derrière les barreaux, et beaucoup souffrent de graves problèmes de santé sans recevoir d’aide médicale, selon l’ONG de défense des droits humains Viasna. Selon le décompte, le 13 juin, des forces démocratiques biélorusses en exil, plus de 250 prisonniers politiques « sont dans un état de santé critique » et « leur vie est en grand danger » en prison. Parmi eux, 91 personnes souffrent de maladies graves, 16 sont handicapées, 10 souffrent de troubles mentaux, 23 sont des mineurs et 65 ont plus de 60 ans.
« Accroissement de la pression »
Les raisons de l’amnistie présidentielle restent peu claires. « Officiellement, c’est pour des motifs humanitaires, observe Artyom Shraibman, chercheur au centre de réflexion Carnegie Russia Eurasia Center. Mais c’est faux, car, selon les organisations de défense de droits humains, la plupart de ceux qui ont été relâchés n’ont pas été diagnostiqués comme ayant de graves problèmes de santé – même si, en prison, personne n’est en bonne santé. Donc il est trop tôt pour spéculer, il faut attendre pour voir ce qu’il en est réellement. » D’autres analystes y voient une tentative de M. Loukachenko de donner, à moindres frais, des gages de bonne volonté aux Européens afin qu’ils allègent les sanctions visant la Biélorussie, alliée numéro un de Moscou dans la guerre en Ukraine. Quatre jours avant la signature de la loi sur l’amnistie, l’Union européenne (UE) avait imposé de nouvelles sanctions économiques au pays.
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