Un criminel de guerre doublé d’un propagandiste acharné. Voilà, à grands traits, l’idée que les autorités ukrainiennes et plusieurs chancelleries occidentales s’étaient faite du général russe Igor Kirillov, tué, mardi 17 septembre à Moscou, dans un attentat officieusement revendiqué par les services spéciaux ukrainiens. La charge qui a causé sa mort et celle de son assistant était dissimulée dans une trottinette garée près de l’entrée d’un immeuble résidentiel de l’avenue Riazanski, selon le Comité d’enquête de la Fédération de Russie, chargé des principales investigations.
L’officier, qui commandait les forces de défense radiologique, chimique et biologique de l’armée russe depuis avril 2017 était « une cible tout à fait légitime, car il a donné l’ordre d’utiliser des armes chimiques interdites contre l’armée ukrainienne. Une fin aussi peu glorieuse attend tous ceux qui tuent des Ukrainiens. Les représailles pour crimes de guerre sont inévitables », a déclaré une source proche du Service de sécurité d’Ukraine (SBU), selon les médias locaux et l’Agence France-Presse.
Dans un communiqué opportunément daté de la veille de sa mort, le SBU annonce que le général Kirillov faisait l’objet d’une enquête pénale pour « l’utilisation massive d’armes chimiques interdites contre les forces de défense sur les fronts est et sud de l’Ukraine ».
« Sur ordre de Kirillov, plus de 4 800 cas d’utilisation de munitions chimiques de la part de l’ennemi ont été recensés depuis le début de l’offensive [russe] à grande échelle », poursuit-il, dénonçant l’usage de grenades lacrymogènes larguées, selon lui, à l’aide de drones pour contraindre les soldats à quitter leurs tranchées et à s’exposer ainsi aux tirs de l’armée russe.
Igor Kirillov, formé notamment à l’Ecole supérieure de commandement militaire de protection chimique de Kostroma, ville située à 300 kilomètres au nord-est de Moscou où il est né le 13 juillet 1970, faisait par ailleurs l’objet de sanctions britanniques pour les mêmes motifs. Dans le communiqué du 8 octobre annonçant leur entrée en vigueur, le Foreign Office lui reproche en outre d’être l’une des chevilles ouvrières « de la désinformation du Kremlin », en raison de ses multiples allégations au sujet de la menace chimique ou bactériologique que Washington et Kiev font, selon lui, peser sur la Russie.
Quelques jours plus tôt, l’intéressé avait accusé les forces ukrainiennes d’avoir eu recours à des armes chimiques de fabrication occidentales à Soudja, dans l’oblast russe de Koursk, mais son thème prédilection, qu’il n’a cessé d’aborder dans les médias russes, était plutôt « les activités des laboratoires étrangers et leur éventuel lien avec la propagation de maladies infectieuses, notamment le Covid-19 », comme le rappelle le quotidien Kommersant.
« Armée d’oiseaux migrateurs »
Dans un rapport du ministère de la défense russe qu’il a présenté en mars 2022, il accuse ainsi les Etats-Unis d’avoir mis sur pied un réseau d’une trentaine de laboratoires sur le territoire ukrainien. « Sous prétexte de tester des moyens de traitement et de prévention de l’infection au coronavirus, plusieurs milliers d’échantillons prélevés chez des patients “principalement issus de l’ethnie slave”, auraient été transférés d’Ukraine vers l’Institut de recherche Walter Reed de l’armée de terre des Etats-Unis », y disait-il, selon l’agence de presse publique russe TASS.
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« D’après les informations fournies par Kirillov, poursuit-elle, ces laboratoires auraient également envoyé aux Etats-Unis des souches d’agents pathogènes responsables de maladies infectieuses. Ces transferts de pathogènes (…) n’auraient pas été contrôlés dans le cadre des mécanismes de surveillance » instaurés notamment par l’Organisation mondiale de la santé et la Convention sur l’interdiction des armes biologiques et à toxines.
Quelques mois après sa nomination à la tête des forces de défense radiologique, chimique et biologique, le général, qui a exercé ses premières responsabilités en Allemagne, de 1991 à 1995, à la tête du Groupe des forces occidentales, accusait déjà les Etats-Unis d’avoir constitué un réseau de laboratoires aux abords des frontières russe et chinoise pour y développer secrètement des armes bactériologiques, thèse qu’il n’a cessé d’alimenter depuis, en particulier après le lancement de l’offensive à grande échelle en Ukraine.
« Depuis février 2022, le général Igor Kirillov (…) multiplie les interventions dans les médias. Il y affirme régulièrement que les Etats-Unis ont participé à la création de la variole du singe et du Covid, et qu’ils développent des armes biologiques capables de cibler sélectivement des groupes ethniques, sans jamais fournir de preuves de ses affirmations », écrivait le département d’Etat américain en mars 2023.
« Le Kremlin propage ces discours parmi la population russe afin de créer une fausse réalité dans laquelle il a été “contraint” d’intervenir pour défendre les citoyens russes contre des ennemis étrangers », poursuivait-il dans une note intitulée « Les inlassables tentatives de désinformation du Kremlin sur les armes biologiques ».
« L’une des contre-vérités les plus notoires du Kremlin est que les Etats-Unis ont collaboré avec l’Ukraine pour former une armée d’oiseaux migrateurs, de moustiques et même de chauves-souris pour transporter des armes biologiques en Russie », souligne-t-il avec ironie. Igor Kirillov a notamment évoqué cette menace, étayée, selon lui, par un brevet américain de drone conçu pour disséminer des insectes porteurs d’infections, après la destruction du barrage ukrainien de Khakovka, en juin 2023.
Héros du travail de la Fédération de Russie et décoré entre autres de l’ordre du mérite de la patrie et de l’ordre du mérite militaire, « il est l’auteur et le coauteur de publications scientifiques d’analyse des activités militaro-biologiques des Etats-Unis sur le territoire de l’Ukraine et d’autres Etats », précise l’agence TASS, sans la moindre ironie.