Sous l’œil satisfait du père Pierre Raï, des hommes déchargent la cargaison d’un camion près de l’église Saint-Georges. Un convoi humanitaire de 20 tonnes de nourriture, de médicaments et de produits d’hygiène vient d’arriver de Beyrouth à Qlayaa, un village chrétien à quatre kilomètres à vol d’oiseau de la ligne de démarcation entre le Liban et Israël. Les soldats libanais, qui ont escorté le convoi à partir du Litani, se tiennent prêts à partir à tout moment.
« On manque de médicaments, se désole le religieux. Il n’y a pas de médecin. Toute la vie s’est arrêtée. On a besoin que quelqu’un transporte les cargaisons, car les transporteurs ne viennent plus ici, la route est trop dangereuse. » Pour rejoindre le village à partir de Saïda, à une heure de route plus au nord sur le littoral, il faut emprunter une route sans aucune âme qui vive, à travers des localités elles-mêmes fantomatiques, lourdement bombardées par l’armée israélienne, à l’image de Nabatiyé.
L’homme d’Eglise salue les paroissiens venus pour la distribution. La moitié de la population de Qlayaa, soit environ 1 500 habitants, est restée au village. Une trentaine de familles sont revenues au cours des derniers jours. Comme Norma et sa fille rentrées de Beyrouth, car le mari, policier à Saïda, n’a pas obtenu d’être affecté ailleurs. « Ils ne peuvent pas vivre sans Qlayaa ! Nous sommes courageux et déterminés. Nous n’abandonnerons pas Qlayaa », fanfaronne le prêtre, qui se démène pour faire venir un à deux convois humanitaires par semaine, avec l’aide d’associations et de congrégations religieuses.
« C’est une guerre entre le Hezbollah et Israël »
Des femmes taquinent l’opiniâtre religieux. Le 4 octobre, lorsque Qlayaa a reçu un ordre d’évacuation de l’armée israélienne, le père Raï a tenu tête. Contacté par un officier israélien, il a invoqué la neutralité de Qlayaa. « C’est une guerre entre le Hezbollah et Israël. Il n’y a pas de Hezbollah dans le village, il n’y a donc aucune raison de l’évacuer ni de l’attaquer », justifie-t-il. Quelques heures plus tard, l’armée israélienne l’a rappelé pour l’informer que l’ordre d’évacuation était annulé.
La longue histoire de collaboration entre Qlayaa et Israël a joué en sa faveur. En 1979, les hommes de Qlayaa, dont beaucoup étaient soldats dans l’armée libanaise, avaient constitué des milices pour protéger le village des combattants palestiniens, qui l’encerclaient et attaquaient Israël à partir de la région. L’une des premières batailles entre Israël et les fedayins sur le sol libanais, en juin 1982, s’est déroulée dans la forteresse de Beaufort, dont la silhouette se découpe sur la colline en face de Qlayaa. L’armée israélienne s’est emparée de Beaufort puis du sud du Liban.
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