Le tempo s’accélère et on ne peut qu’être frappés par les automatismes de pensée dans lesquels nous tombons lorsqu’il s’agit de qualifier l’Amérique contemporaine. Pour ne prendre que deux exemples : celui d’impérialisme d’une part, et d’autre part celui de « vassalisation heureuse » – imaginé par la revue Le Grand Continent, puis repris par Emmanuel Macron lors de son voyage d’Etat au Portugal pour enjoindre à l’Europe de ne pas se résigner. Ces notions, aussi séduisantes et mobilisatrices soient-elles, ne sont pas pleinement adaptées à la situation. Pour comprendre, au-delà de Trump, ce moment américain, mieux vaut peut-être revenir à des notions simples et efficaces, ancrées dans l’histoire et l’imaginaire américains.
L’idée de vassalisation emprunte à un vocabulaire médiéval européen qui n’a aucun rapport avec la culture politique américaine. Les Américains, comme Trump lui-même, ignorent tout des notions féodales de vassalité et de suzeraineté. Ces concepts, issus d’une Europe d’il y a mille ans, fragmentée et hiérarchisée, ne permettent pas de saisir la réalité d’une Amérique dont l’histoire moderne commence il y a deux siècles et demi, fondée sur des idéaux républicains, une expansion territoriale et une vision universaliste de la liberté. Trump fait des « deals » – on ne « deale » pas avec son vassal –, il ne pense pas dans les termes de la vassalité.
Quant à l’impérialisme, il s’avère tout aussi inadéquat. Les Etats-Unis actuels ne se projettent pas dans une extension infinie, ne cherchent pas l’assimilation des populations culturellement éloignées, et la conquête militaire n’est manifestement plus leur objectif principal. Ni l’impérialisme, ni le césarisme, et encore moins le « techno-césarisme », ne constituent des cadres d’analyse pertinents.
Le « moment Trump », au-delà de la personnalité du président et de son style si particulier, révèle, je crois, quelque chose de plus structurel sur les Etats-Unis, un élément qui se manifeste dans de nombreux domaines et dont l’expression par Trump explique une partie de son succès électoral. Les Etats-Unis ont toujours eu un problème fondamental avec l’idée de limite, et c’est précisément ce nœud qui est réactivé chez Trump avec une intensité particulière.
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