La Manche est devenue une frontière meurtrière pour les personnes qui cherchent à la franchir. Le 3 septembre, encore, douze personnes se sont noyées en tentant de rejoindre les côtes du Royaume-Uni, portant à 34 le nombre de décès depuis le début de l’année. Cette situation résulte, pour l’essentiel, d’accords franco-britanniques.
Durant la campagne présidentielle de 2017, Emmanuel Macron avait pourtant affirmé sa volonté de renégocier le traité du Touquet. Ce texte, signé en 2003, régit le contrôle de l’immigration à destination du Royaume-Uni depuis les ports français sur la Manche. Il est fondé sur une doctrine sécuritaire qui repose sur l’« étanchéification » des enceintes portuaires et, par une concession de souveraineté, la permission donnée aux agents de l’immigration britannique d’opérer sur le territoire français.
Il complète les dispositions similaires du protocole additionnel au protocole de Sangatte de 2000, relatif au tunnel sous la Manche, et l’accord Sarkozy-Blunkett de 2002, destiné à sécuriser la gare de fret de Fréthun. S’y ajoutent l’accord Cazeneuve-May de 2015 et le traité de Sandhurst de 2018, qui organisent la « cogestion » policière franco-britannique de la frontière, et l’accord Darmanin-Braverman de 2022, destiné à lutter contre les traversées en canots pneumatiques (small boats).
Ces textes répondent à une logique commune : l’externalisation de la frontière. Depuis le début des années 2000, le gouvernement britannique paye les autorités françaises et fournit à ces dernières du matériel de surveillance et d’entrave, exploité sous « observation » des agents britanniques, afin qu’elles empêchent les migrants de rejoindre Albion et qu’elles règlent, sur leur territoire ou en collaboration avec les Etats membres de l’Union européenne (UE), la situation de ces personnes. Ainsi, les Britanniques, y compris après le Brexit, ont obtenu de la France ce que les pays frontaliers de l’Union européenne refusent à cette dernière.
« Marché » des traversées
Cette politique est justifiée par la rhétorique de la lutte contre les organisations criminelles. L’argument est fallacieux en ce qu’il confond cause et conséquence et relève de la prophétie autoréalisatrice : l’implantation des organisations criminelles n’est que l’effet pervers des accords et du verrouillage de la frontière qui implique pour passer en Angleterre des compétences et capacités logistiques dont ne disposent pas les migrants. Officieusement, et cela est à porter au crédit des autorités françaises, elle participe aussi du refus de ces dernières de se faire complices des mesures contraires aux droits humains et au droit maritime auxquelles les gouvernements britanniques ont à diverses reprises menacé de recourir si la frontière était ouverte.
Il vous reste 55.28% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.