![Les silos à grains partiellement effondrés et endommagés par l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020, toujours visibles quatre ans plus tard, le vendredi 2 août 2024.](http://img.lemde.fr/2024/08/02/0/0/7000/4667/664/0/75/0/c4f50c8_1722609647227-698689.jpg)
Le 4 août 2020, Malek Mehio se trouvait dans le salon de ses parents à Beyrouth-Ouest, dans le quartier de Zarif, près de Verdun, lorsqu’une monstrueuse explosion a ébranlé l’appartement de ses parents comme l’ensemble de la capitale libanaise, ravagée par l’explosion de l’entrepôt n° 12 du port de Beyrouth, rempli de centaines de tonnes de nitrate d’ammonium qui ont accidentellement pris feu. Le jeune homme est jeté à terre, l’artère et la veine fémorale sectionnées par des éclats de verre, le nerf sciatique écrasé. Il perd cinq litres de sang mais les services de secours, débordés, ne peuvent le récupérer. « C’est finalement mon père qui, avec un ménisque cassé et un ligament sectionné, m’a porté jusqu’à l’hôpital le plus proche », raconte-t-il.
A ce jour, le jeune homme de 25 ans souffre de troubles de stress post-traumatique ainsi que de séquelles physiques. A l’époque de l’explosion du port de Beyrouth, Malek Mehio, français et libanais, était étudiant en France et rendait visite à ses proches. Aujourd’hui, il vient de terminer ses études et ses parents, épuisés par la crise économique, l’absence de perspectives politiques et les blocages de la justice, ont quitté le Liban pour s’installer à Paris, où Malek Mehio est né et où sa famille avait déjà vécu.
Le juge Tarek Bitar, chargé de l’enquête, se voit empêché de notifier convocations et mandats d’arrêt aux personnes mises en cause dans l’affaire, parmi lesquelles figurent notamment des responsables politiques et sécuritaires. L’action du juge d’instruction est entravée par une dizaine de recours en dessaisissement et en responsabilité de l’Etat. Depuis 2023, les investigations sont également gelées par une décision de l’ancien procureur général près la Cour de cassation, Ghassan Oueidate, qui interdit aux services de sécurité de se conformer aux instructions du juge Bitar.
Sur les 235 morts et 6 500 blessés causés par l’explosion du 4 août 2020, au moins une cinquantaine de victimes sont françaises ou franco-libanaises. C’est donc logiquement que le pôle accidents collectifs du parquet de Paris a ouvert, dès le 5 août 2020, une « enquête miroir ». Puis, « par réquisitoire introductif du 11 août 2020, nous avons ouvert une instruction, sur les infractions d’homicides et blessures involontaires », déclare au Monde le parquet de Paris.
Sociétés-écrans
Du fait des entraves posées à l’enquête judiciaire au Liban, l’espoir des victimes franco-libanaises se tourne désormais vers la justice française. Mais les investigations s’avèrent longues et complexes dans un dossier tentaculaire qui va de la Russie à la Syrie en passant par le Mozambique, Chypre ou le Royaume-Uni. Derrière la cargaison de nitrate d’ammonium se cache un enchevêtrement de sociétés-écrans, d’hommes de paille et de destinataires fantômes.
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