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la Tunisie à l’heure du consentement au despotisme


Livre. Voici l’ouvrage sur le suicide démocratique tunisien que l’on attendait. Suicide ? Le terme fera débat. Il faut bien pourtant oser le mot dès lors que l’on s’interroge sur les raisons du naufrage de la « transition » post-2011, cette espérance printanière pulvérisée dix ans plus tard par le retour de l’autocratie.

Ce terme, Hatem Nafti ne l’utilise pas dans son ouvrage décapant, Notre ami Kaïs Saïed. Essai sur la démocrature tunisienne (Riveneuve, 304 pages, 13,50 euros). Il n’en suggère pas moins l’idée en évoquant une « appétence pour le despotisme » à l’œuvre en Tunisie, chez les élites comme au sein de la population.

Sans sacrifier aux stéréotypes culturalistes – les Arabes voués à la tyrannie –, il est difficilement contestable qu’une certaine porosité aux solutions autoritaires sur fond de crainte du chaos a joué un rôle crucial dans l’adoubement collectif de l’aventure personnelle de Kaïs Saïed.

Elu président avec un score confortable en 2019, cet enseignant en droit constitutionnel incarnait une forme de révolution conservatrice où résonnait le triple appel au peuple, à la patrie et à Dieu. Son ascension aux accents messianiques consacrait une fin de cycle : l’épuisement d’une expérience démocratique dysfonctionnelle et corrompue, source d’un immense haut-le-cœur, y compris chez ceux qui en avaient applaudi la promesse après la chute de la dictature de Zine El-Abidine Ben Ali.

Régression vertigineuse

En juillet 2021, deux ans après son élection, Kaïs Saïed jette donc le bébé avec l’eau du bain. Invoquant un « péril imminent », il exécute un coup de force contre les institutions héritées de la révolution de 2011. Il s’arroge l’omnipotence exécutive, asservit la justice et lamine les corps intermédiaires. Il pourchasse ses opposants, accusés de « complots » les plus fantaisistes et de collusion avec des « puissances étrangères ». La régression est vertigineuse. La Tunisie, « berceau des printemps arabes », devient méconnaissable.

Hatem Nafti ne se contente pas de radiographier ce nouveau paradigme qu’est le « saïedisme », réplique locale du séisme illibéral ébranlant d’autres latitudes. Il défend – avec raison – l’idée que Kaïs Saïed n’aurait pu s’imposer sans une forme d’adhésion de la population, passive sinon active.

Son modèle national-populiste rétablissant le culte du chef et la posture de défi à l’Occident scelle en effet une convergence idéologique où peuvent se reconnaître les soutiens les plus disparates : technocrates et sécuritaires de l’ancien régime pré-2011, militants de gauche adversaires du néolibéralisme, nostalgiques du panarabisme, « progressistes » hostiles aux islamistes d’Ennahda (embastillés comme d’autres) ou tenants d’un conservatisme sociétal rassurés par la piété du nouveau guide.

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