Le long des rues, les bâches en plastique installées sur des magasins vandalisés ou pillés claquent au vent. Ailleurs, les rideaux de fer baissés font penser à une ville morte. Depuis une dizaine de jours, depuis ces trois nuits d’émeutes inédites qui ont vu Kayseri, dans le centre de la Turquie, livrée à un déferlement de haine et d’attaques racistes à l’encontre des réfugiés syriens, les commerces rouvrent poussivement leurs portes, les habitants sortent de chez eux avec une peur à peine dissimulée.
Une demi-douzaine de quartiers, parfois très éloignés les uns des autres, ont été touchés. Près de 400 échoppes, voitures et habitations ont été prises pour cible par mille à deux mille émeutiers, peut-être plus, personne ne sait. Cocktails Molotov, caillassage, agressions et tabassages : la colère d’une partie des habitants de cette cité d’Anatolie d’un peu plus d’un million de résidents, connue pour être un bastion conservateur et nationaliste, l’un des anciens moteurs économiques du pays, s’est muée en une tempête qui a failli tout emporter sur son passage. Trois nuits de violences inouïes avant que les autorités ne décident d’intervenir, laissant une partie de la ville en état de choc et une population syrienne dans un abîme d’interrogations.
Les troubles ont commencé le dimanche 30 juin en fin de journée, sur la place du marché du quartier Danismentgazi, dans le sud de Kayseri. Quelqu’un aurait vu un Syrien entrer dans les toilettes publiques pour tenter d’abuser une jeune fille. Très vite, un groupe de personnes se masse devant l’entrée des sanitaires. Des images sont prises d’un téléphone tenu au-dessus de la porte et diffusées sur les réseaux sociaux. La police s’interpose et embarque l’agresseur présumé.
Le quartier est connu pour être un des lieux d’installation privilégié des Syriens fuyant le régime de Damas et la guerre civile en cours depuis 2011. Ils formeraient près d’un quart de la population de Danismentgazi. La séquence vidéo, elle, est courte et confuse. On y voit un individu entourant de ses bras une enfant avec des commentaires affirmant qu’il s’agit là d’un Syrien tentant d’agresser sexuellement une petite fille. Le fait que le jeune homme connu des familles syriennes locales pour être atteint de déficience mentale n’est mentionné nulle part. Que la fille de 7 ans est une jeune syrienne cousine de sa famille non plus.
Feux allumés, immeubles attaqués
Il est 20 heures lorsque Abdulkerim (tous les noms ont été modifiés pour des raisons de sécurité) arrive sur la place pour acheter du pain dans l’une des échoppes ouvertes tard le soir. L’homme, dans la quarantaine, père de famille et originaire d’Alep, est un commerçant respecté, installé ici depuis bientôt onze ans, un quartier qu’il connaît bien, avec « ses hauts et ses bas », comme il dit.
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