Un ballet de pelleteuses et de camions laboure la Dobroudja, vaste plateau qui domine la mer Noire, dans l’est de la Roumanie. Au milieu de ce paysage sec et peu fertile, les engins terrassent, creusent et tracent déjà ce qui sera ici une piste d’atterrissage, là des voies de circulation pour les avions. « Vous en pensez quoi ? », s’enquiert avec fierté le capitaine ingénieur Aurel Bocai en faisant en cette fin juillet la visite de ce gigantesque chantier commencé à peine un mois et demi plus tôt.
Officier des forces aériennes roumaines, il est le chef de projet de ce qu’il présente tout simplement comme « le plus grand chantier entrepris par l’armée roumaine depuis les années 1990 ». Si les 250 engins déployés six jours sur sept continuent à ce rythme, les avions de l’OTAN pourraient atterrir et décoller dès 2027 sur ce qui sera la deuxième piste de la base aérienne Mihail-Kogalniceanu. Construite à l’époque communiste, cette implantation militaire située à 30 kilomètres de la mer Noire connaît une nouvelle jeunesse depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022.
Faisant face à la Crimée, la base « MK » – comme l’appellent les nombreux soldats étrangers déployés ici par peur d’écorcher le nom de la figure politique roumaine du XIXe siècle qui lui a donné son patronyme – est l’implantation la plus orientale de l’OTAN en Europe. Longtemps laissé à l’abandon, cet ensemble de vieux hangars rouillés et de bâtiments parfois mangés par la végétation est devenu, face à la menace russe, un des lieux les plus stratégiques pour la surveillance de la mer Noire et la protection aérienne du « flanc est » de l’Alliance atlantique.
Surface « multipliée par quatre »
Un peu partout entre les bâtiments anciens, des villages de containers ont été érigés à la va-vite, notamment par l’armée française, qui utilise toujours MK pour approvisionner ses forces terrestres déployées à Cincu, dans le centre de la Roumanie. A cela s’ajoutent les innombrables Humvee (des véhicules militaires) de couleur sable et les hélicoptères américains, et les avions de chasse finlandais alors chargés de la « police du ciel » roumain. Tous se partagent l’unique piste actuelle avec les avions low cost du petit aéroport civil voisin qui dessert Constanta, grande ville portuaire de l’est de la Roumanie.
« Avant 2022, il y avait surtout ici des champs de tournesol », décrit le commandant Nicolae Cretu, un grand brun, en montrant du doigt sur la vue aérienne de sa base étalée sur son bureau les parcelles qui sont désormais occupées par des engins ou des baraquements des forces militaires de l’OTAN. Décidée dès 2018, « en réaction à ce qui s’est passé en Géorgie et en Crimée [annexée par la Russie en 2014] », l’extension permettra de transformer toutes ces installations temporaires en aménagements définitifs et d’augmenter sérieusement les capacités.
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