Ancienne maire de Canteleu (Seine-Maritime), Mélanie Boulanger et son adjoint Hasbi Colak doivent être jugés à partir de lundi pour complicité dans le cadre d’une vaste affaire de trafic de drogues. Prévu pour quatre semaines, le procès illustre comment le narcotrafic gangrène certaines communes françaises, jusqu’aux élus.
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C’est l’histoire d’une maire et de son adjoint qui ont peut-être trop cédé aux trafiquants de drogue. Cette affaire illustre bien comment la France est « submergée » par les stupéfiants, selon les sénateurs qui en ont fait état à la mi-mai dans un rapport d’enquête particulièrement alarmant.
Au tribunal judiciaire de Bobigny, 19 personnes sont jugées à partir de ce lundi 3 juin dans le cadre d’une vaste affaire de trafic de drogues à Canteleu (Seine-Maritime), ville de 14 000 habitants située dans l’agglomération de Rouen, en Normandie. Parmi les prévenus, l’ancienne maire socialiste de la ville, Mélanie Boulanger, élue en 2014, et son adjoint, Hasbi Colak, sont accusés de « complicité de trafic de stupéfiants ».
Initialement programmé le 27 juin, le procès a été repoussé d’une semaine. La chambre d’instruction n’a pas eu le temps de statuer sur les requêtes en annulation déposées par certains avocats. « Résultat, le dossier est différent pour les uns et pour les autres [prévenus, NDLR], ce qui ne le rend pas en état d’être jugé », a expliqué Me Jeremy Kalfon, conseil d’Hasbi Colak, actuellement sous contrôle judiciaire. Interrogé, l’avocat de Mélanie Boulanger, Me Arnaud de Saint-Rémy, n’a pas souhaité faire de commentaire.
Une ville sous emprise
L’affaire de Canteleu commence le 25 septembre 2019. Ce jour-là, les policiers interpellent deux hommes dans un parking souterrain de Seine-Saint-Denis. L’un vient de fournir à l’autre 2 kilos de cocaïne contre 50 000 euros. Yassine D., 34 ans, est interpellé au volant d’un Citroën Berlingo appartenant à un restaurant kebab de Canteleu. Son gérant n’est autre qu’Hasbi Colak, à l’époque adjoint de la maire en charge du développement économique.
Située dans l’agglomération de Rouen, Canteleu est victime depuis une quinzaine d’années d’un vaste trafic de drogue orchestré par la famille Meziani, selon les services de police. Aux termes de leurs investigations, les enquêteurs estiment que ce trafic génère chaque année plus de 10 millions d’euros de bénéfices, notamment grâce à l’importation de cocaïne. « Il y a un déferlement de cocaïne très sensible sur la France, donc il faut que le produit puisse s’écouler. D’ailleurs, dans certains départements, la cocaïne a supplanté le cannabis », explique Jérôme Durain, sénateur PS et co-président de la commission d’enquête sur le narcotrafic.
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À Canteleu, une partie du trafic se déroule dans la cité verte, un quartier pauvre d’où est originaire la famille Meziani. Hasbi Colak en connaît certains membres, qui espèrent bien utiliser sa fonction d’élu pour faciliter leurs affaires.
Le 10 décembre 2019, Hasbi Colak informe Mélanie Boulanger que les « grands » de la cité rose, haut lieu du trafic de drogue, ne sont pas contents de ne pas avoir été informés de la pose de caméras de vidéosurveillance. Le 29 janvier, nouvel épisode : un dealer est interpellé dans la zone, ce qui provoque la colère des trafiquants. Au téléphone, placé sur écoute, Mélanie Boulanger semble s’excuser auprès d’Hasbi Colak : « Ils m’avaient pas dit qu’ils allaient procéder à l’arrestation aussi rapidement ». Le 7 février, une nouvelle interpellation met le feu aux poudres entre les trafiquants et l’équipe du maire, qui est accusée d’avoir « donné son feu vert ». Une fois de plus la maire est priée de montrer patte blanche : « Moi je veux bien travailler avec eux (…) Tu peux leur dire que c’est des gens de l’église, tu ne dis pas que c’est le curé ».
Après une nouvelle opération de police dans un bar de la ville fréquenté par les trafiquants, l’un des caïds utilise directement la ligne téléphonique d’Hasbi Colak pour négocier avec la maire. « Après une longue conversation, Mélanie Boulanger s’engageait à appeler le commissaire de police pour faire cesser les patrouilles », résument les enquêteurs dans l’ordonnance de renvoi à laquelle France 24 a eu accès. « Il ressortait clairement qu’Hasbi Colak était en lien avec les trafiquants de Canteleu. Il relayait à Mélanie Boulanger leurs demandes, leurs récriminations et plaidaient parfois leur cause », écrivent-ils encore.
Désarmée face aux trafiquants
Après trois ans d’enquête, Mélanie Boulanger et Hasbi Colak ont été mis en examen fin avril 2022 pour complicité de trafic de stupéfiants. Les deux nient la majorité des faits qui leurs sont reprochés. Depuis son élection en 2014, la maire n’avait cessé d’alerter les pouvoirs publics sur la montée en puissance du trafic de drogue dans sa ville, comme le rapporte Le Monde. « Les trafiquants et les fauteurs de troubles ne cessent de gagner du terrain », écrivait-elle déjà, en 2017 à Christophe Castaner, à l’époque ministre de l’Intérieur.
D’autres courriers ont suivi, sans résultat. Mélanie Boulanger a-t-elle cédé à la pression des trafiquants face au manque de soutien des pouvoirs publics ? Lors de sa mise en examen, celle qui a depuis démissionné, a lu au juge une déclaration où elle soulignait sa solitude d’élue dans sa lutte contre la délinquance. Présumée innocente, comme son adjoint, elle devrait s’exprimer davantage lors de son procès, prévu pour quatre semaines. Dans le box des prévenus, un des frères Meziani, Aziz, manquait à l’appel. En fuite au Maroc, il a fait construire une immense villa et y coulerait une vie paisible. Et pour cause, le royaume extrade rarement les citoyens franco-marocains.