De notre envoyée spéciale à Caen – Des milliers de personnes sont venues rendre hommage, jeudi 6 juin, aux 156 000 soldats débarqués sur les plages de Normandie, il y a 80 ans jour pour jour. Un moment chargé d’émotion pour beaucoup, en présence des derniers témoins de cet épisode de l’Histoire. Reportage.
Un grand ciel bleu, une douceur printanière et la brise marine. En ce 6 juin, les plages de Normandie ont tout d’un décor de carte postale. Une météo bien éloignée de la brume qui enveloppait ces lieux, il y a 80 ans jour pour jour, lorsqu’en plein cœur de la Seconde Guerre mondiale, 156 000 soldats sont arrivés pour la grande opération des forces alliées : le Débarquement.
De douze nationalités différentes, mais majoritairement américains, britanniques et canadiens, ils ont débarqué par la mer et par les airs sur cinq plages qui bordent les côtes normandes. Au total, 10 300 soldats sont morts dans la seule journée du D-Day et près de 70 000 lors de la bataille de Normandie qui a suivi.
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« C’est une chance d’être là »
À quelques mètres de ces plages, au cimetière de Colleville-sur-Mer où reposent 9 387 soldats américains, la foule est arrivée tôt jeudi. Bravant de fortes restrictions de circulation, habitants de la région, Américains, officiels comme simples citoyens ont tenu à rendre hommage à ces soldats à l’occasion de la cérémonie américaine organisée pour les 80 ans du Débarquement. Pour beaucoup, c’était aussi, et surtout, l’occasion d’honorer les derniers vétérans mais aussi de transmettre leur histoire à la nouvelle génération.
Sous un soleil franc, après avoir traversé les allées de croix blanches qu’elles connaissent par cœur pour rejoindre les rangs de la cérémonie, Emmanuelle ne cache pas son émotion. « Je viens à chaque grande commémoration. C’est magique, c’est une chance d’être là », explique cette femme originaire de la région. « C’est certainement la dernière fois que nous avons une si grande cérémonie où les vétérans sont encore là. Après on continuera certainement de leur rendre hommage, mais ce ne sera plus pareil. »
Aujourd’hui, elle est venue avec sa fille de 10 ans. Dans sa veste bleue marine, Méline trépigne d’impatience. « Nous vivons à côté du cimetière, nous venons souvent quand nous avons des amis en visite. Il fait partie de notre quotidien. C’était donc important de faire vivre ce moment à ma fille », témoigne-t-elle. A côté d’elle, Méline, dans sa veste bleue marine, trépigne d’impatience.
Quelques rangs devant, c’est cette même motivation de transmettre qui a poussé Ashley à faire le déplacement avec ses trois enfants de un, six et onze ans, depuis New York, aux États-Unis. « Mon grand-père a participé au Débarquement mais mes enfants n’ont pas eu la chance de le connaître. Nous voulions qu’ils voient ces derniers vétérans. C’est l’Histoire qui prend vie devant leurs yeux », raconte-t-elle. « C’était vraiment le plus important pour nous : qu’ils voient ces héros et que ce jour a changé le cours de l’Histoire. »
Au même moment, deux militaires se font une accolade amicale. L’un est en uniforme kaki – américain, l’autre en uniforme bleu marine – français. Un océan et une trentaine d’années séparent ces deux hommes. « Nous sommes alliés depuis 80 ans et aujourd’hui nous pouvons nous rencontrer. C’est toujours émouvant », expliquent-ils de concert, avec un grand sourire fier.
À 29 ans, James Landson, originaire de Virginie, a intégré l’armée il y a une dizaine d’années. « C’est une expérience très enrichissante de fouler le sol où des soldats de ma division [29 division d’infanterie, NDLR] sont morts il y a 80 ans, mais aussi de voir l’hommage rendu par le public français. Cela me montre que je dois leur faire honneur en prenant la relève », témoigne-t-il. À sa droite, le lieutenant-caporal hoche la tête : « Bien dit ! », s’exclame-t-il.
« Un lien de sang versé pour la liberté »
À 11 h 30, au moment où entrent en scène, un à un, une cinquantaine de vétérans qui ont tenu à faire leur déplacement malgré leur âge – la plupart sont centenaires – la foule d’environ 12 000 personnes se lève et le temps semble suspendu. Pendant plus de 30 minutes très solennelles, les applaudissements fusent. Quelques larmes coulent.
Vers 13 heures, la cérémonie officielle commence au son de l’hymne français puis américain en présence d’Emmanuel Macron et de Joe Biden. « Ces humbles tombes blanches, qui sont juste là, à portée de main derrière vous, sont un des lieux les plus émouvants de France. On y sent vibrer l’histoire, l’héroïsme des morts et celui des vivants », déclare le président français en ouverture d’un court discours, mettant en avant les « liens » entre la France et les États-Unis, « un lien de sang versé pour la liberté ».
Entre intermèdes musicaux et extraits vidéos d’images du Débarquement, Emmanuel Macron remet ensuite aux côtés de son homologue américain la Légion d’honneur à onze vétérans américains. Parmi eux, par exemple, Richard Stewart, 100 ans, débarqué en juillet 1944 sur Omaha Beach ou encore Ray Tweedel, arrivé sur les plages de Normandie le 8 juin 1944.
La guerre en Ukraine dans les têtes
Mais d’une guerre à l’autre, le conflit en Ukraine est aussi venu s’inviter dans les commémorations du Débarquement. Dans sa longue allocution, le locataire de la Maison Blanche n’a ainsi pas hésité à dresser un parallèle historique, sans mâcher ses mots.
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« La liberté, la démocratie, les États-Unis et le monde mériteront toujours que l’on meure pour les défendre. Dans ce lieu, nous prouvons que les forces de liberté sont plus fortes que les forces qui veulent conquérir. Et ce lieu prouve aussi le lien incassable des Alliés », a-t-il affirmé. « L’Ukraine a été envahie par un tyran obsédé par la domination. Les États-Unis, l’OTAN et une coalition de plus de 50 ans soutiennent fermement l’Ukraine. Nous ne partirons pas. Se soumettre à des brutes, s’incliner devant des dictateurs est tout simplement impensable », a-t-il poursuivi.
C’est d’ailleurs avec cette actualité en tête que Robert « Bob » Allen, 78 ans, est venue à la cérémonie américaine depuis San Diego. Demain, lui et plusieurs volontaires partiront en direction de l’Ukraine pour y amener une quarantaine d’ambulances. « L’un de mes cousins a participé au Débarquement. J’ai vécu avec lui pendant 14 ans et je ne l’ai pourtant appris qu’à son décès. Je ne cesse d’en apprendre plus sur le rôle de ma famille dans la guerre et c’est ce qui m’a motivé à venir ici aujourd’hui et à partir demain en Ukraine », raconte-t-il, sans cacher son émotion.
Deux heures plus tard, l’actualité ukrainienne est aussi venue s’inviter dans le grand ballet diplomatique de la cérémonie internationale, sur Omaha Beach, où étaient conviés une dizaine de chefs et cheffes d’État – lorsque, sous un tonnerre d’applaudissements, le président ukrainien Volodymyr Zelensky est entré aux côtés d’Emmanuel Macron.
Après une longue cérémonie marquée par la lecture de lettres de soldats de toutes nationalités, d’interprétations de plusieurs chants et musiques comme le « Chant des partisans » ou encore « Blood on the Risers », le président français finit son discours « en remerciant le peuple ukrainien, sa bravoure et son goût de la liberté ».
« Alors oui, quand guettent l’anesthésie et l’amnésie, quand s’endorment les consciences, c’est cet élan intact qui nous entraîne sans crainte », a-t-il terminé. « Voilà pourquoi nous sommes ici ce jour. Nous savons que la liberté est un combat de chaque matin. »
« Je viendrai jusqu’à la fin de mes jours »
Mais dans l’auditoire, en écoutant la cérémonie, avec en toile de fond, la mer et « Omaha la sanglante » – ici même où le bilan du Débarquement fut le plus lourd avec, parmi les 34 250 hommes débarqués, 1 000 morts et 2 000 blessés ou disparus – c’est bien vers le passé que l’on regarde en ce 6 juin.
« Mon père était militaire dans la marine américaine. J’ai passé mon enfance à entendre parler de stratégie militaire et ma vie d’adulte à être interprète pour les vétérans anglophones dans ces commémorations », raconte Jacqueline Frost. « Aujourd’hui, je suis retraitée mais je tiens à être là pour eux. C’était la ‘Grande génération’. Nous n’avons pas assez de mots pour définir leur courage et leur ténacité. Je continuerai à venir aussi longtemps que possible et à les honorer pour toujours. »
