Les Géorgiens de Tbilissi sont venus en famille, avec des amis, des collègues, des voisins ou encore avec leurs chiens. En début de soirée, lundi 28 octobre, la vibrante sociabilité géorgienne s’affiche sur l’avenue Roustavéli, la principale artère de Tbilissi. On casse la croûte, on s’embrasse, on échange les dernières nouvelles, drapeaux géorgiens et européens à la main ou sur les épaules. Ils sont des dizaines de milliers à avoir répondu présent à l’appel de la présidente Salomé Zourabichvili, pour protester contre les résultats des élections législatives du 26 octobre, truquées par la main de Moscou, selon elle. Les forces de police, regroupées dans les rues adjacentes, se font plutôt discrètes.
La foule attend avec impatience la prise de parole de la présidente, élue en 2018 sur le ticket du Rêve géorgien, le parti au pouvoir depuis 2012, et devenue ces derniers temps l’égérie de l’opposition. Lorsqu’elle grimpe enfin sur l’estrade dressée devant le Parlement, l’assistance applaudit à tout rompre. « Vous n’avez pas perdu les élections ! Votre voix a été volée, et ils ont également tenté de voler votre avenir, mais personne n’a le droit de faire cela », lance-t-elle. « Ces deux derniers jours, j’ai donné dix-sept interviews et j’ai parlé à six présidents. Personne ne reconnaît ces élections ! Aujourd’hui, grâce à ce rassemblement, nous allons reprendre nos droits », poursuit-elle, promettant de défendre « jusqu’au bout » l’adhésion de la Géorgie à l’Union européenne (UE), gelée par Bruxelles en riposte aux lois répressives adoptées au printemps par Rêve géorgien, le parti qui gouverne.
Ces mots sont ceux que la foule attendait. Déçus par les résultats définitifs des législatives annoncés la veille, selon lesquels Rêve géorgien a obtenu 54 % des voix contre 38 % pour l’opposition proeuropéenne, les manifestants se galvanisent en chantant l’hymne national, la main sur le cœur. La population de Tbilissi a le cœur qui bat pour l’opposition. Dans la capitale, le Rêve a recueilli 44 % des suffrages seulement. Son plus gros succès a été enregistré dans la région à forte population arménienne de Djavakhétie, dans le sud du pays où 90 % des inscrits ont voté en sa faveur. Alors que l’opposition a présenté le scrutin comme un référendum sur l’avenir – la Géorgie sera une démocratie en Europe ou un pays autoritaire sous influence russe –, Rêve géorgien l’a présenté comme un choix entre la paix et la guerre.
« Je sais qu’ils ont triché »
Serrées l’une contre l’autre, deux étudiantes, Liza, 23 ans, et Anna, 22 ans, n’en reviennent pas que les résultats, « falsifiés », puissent avoir été reconnus comme définitifs. « L’Europe et les Etats-Unis doivent nous aider à faire triompher la vérité. Il y a eu tellement de magouilles ! Je l’ai constaté moi-même dans la circonscription où je vote », explique Liza, une brune aux yeux vifs. A-t-elle assisté personnellement à des fraudes ? « Non, mais je sais qu’ils [Rêve géorgien] ont triché, ça n’est pas possible autrement. Pourquoi ? Dans mon arrondissement, ici en ville, ils ont gagné alors que d’habitude ils perdent », explique-t-elle avec animation. Son amie Anna recense les falsifications dénoncées par l’opposition. « Il y a eu des achats massifs de votes, des votes multiples, des bulletins préremplis, des pressions, des intimidations », énumère-t-elle dans un soupir. Elle-même n’a rien vu dans le bureau de vote du quartier résidentiel de Vake, dans la capitale, mais elle sait que cela s’est produit, « surtout dans les campagnes ».
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