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En Ethiopie, le business des enlèvements profite du vide sécuritaire laissé par l’Etat


Des policiers éthiopiens patrouillent à Jimma, dans la région Oromia, en juin 2021.

Les voyageurs qui empruntent les routes de la région Oromia, qui entoure Addis-Abeba, n’ignorent pas le risque d’enlèvement auquel ils s’exposent. Plus le trajet se prolonge sur ces longues routes asphaltées, plus l’angoisse se fait sentir, le sentiment d’être sans cesse sous surveillance et la possibilité, à tout moment, de voir surgir un groupe de bandits.

Mercredi 3 juillet, trois bus remplis d’étudiants de l’université de Debark, dans le nord de l’Ethiopie, font route vers la capitale. Les trois véhicules, avec 160 étudiants à leur bord, viennent de traverser le Nil bleu. Il leur reste trois heures de route jusqu’à Addis-Abeba quand des hommes armés leur coupent la route dans le village de Gebre Guracha. Les étudiants sont forcés à sortir des bus et amenés dans une forêt jusqu’à une base improvisée.

Les soldats de l’Armée de libération oromo (ALO), une insurrection qui dit se battre pour l’autodétermination des plus de 40 millions d’Oromo – l’ethnie majoritaire en Ethiopie –, opèrent fréquemment dans cette zone. Un étudiant parvenu à s’échapper, interrogé par l’agence Reuters, tient la guérilla pour responsable de ce rapt d’une ampleur inédite. Mais l’ALO, également accusée par le gouvernement fédéral, nie avoir kidnappé la centaine de jeunes.

Impossible d’identifier les ravisseurs : du fait de l’insécurité, organisations de défense des droits humains et journalistes ne se rendent plus depuis longtemps dans cette zone que la police et l’armée ne contrôlent pas intégralement. Les rebelles ou bandits réclament 15 000 euros de rançon pour chacun des 160 étudiants. « Ceux qui ont pu payer sont libres », indique la Commission éthiopienne des droits de l’homme, toutefois incapable d’estimer le nombre de captifs restants.

« Seigneurs de guerre »

En 2024, les groupes armés qui pullulent dans les campagnes de ce pays aussi vaste que fragmenté multiplient les enlèvements. Un paradoxe pour l’Ethiopie, qui a passé près de trois décennies, entre 1991 et 2018, sous la coupe du régime originellement marxiste du Front démocratique révolutionnaire des peuples éthiopiens (FDRPE), adepte et expert d’un contrôle social des plus stricts auquel rien n’échappait.

Depuis l’arrivée au pouvoir du premier ministre Abiy Ahmed, en 2018, le pays se retrouve fragilisé par les conflits qui s’additionnent. La guerre du Tigré (2020-2022), puis les deux insurrections actives dans les régions Amhara et Oromia, mettent à mal la capacité du gouvernement à contrôler son territoire. « Les enlèvements, fréquents dans ces deux régions, montrent comment des conflits prolongés affaiblissent l’Etat de droit et enhardissent les criminels », a déclaré l’ambassadeur américain en Ethiopie, Ervin Masinga, sur le réseau social X après le rapt des 160 étudiants.

Tsedale Lemma, la fondatrice du média indépendant Addis Standard, perçoit à travers cette succession de rapts le signe de « l’émergence d’une économie de seigneurs de guerre » qui se servent sur la bête « dans une relative impunité ». La multiplication des bandes criminelles, la prolifération des armes à feu et le vide sécuritaire laissé par une armée nationale débordée constituent, d’après elle, « une crise nationale d’ampleur ».

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La donne a en effet drastiquement changé en Oromia, à la fois la plus grande, la plus peuplée et la plus riche des provinces de ce pays de 107 millions d’habitants. En 2018, l’accession au pouvoir d’Abiy Ahmed, premier dirigeant oromo de l’Etat éthiopien, a signé le début d’une violente lutte de pouvoir entre son Parti de la prospérité et l’ALO. Désormais, les administrations locales, les investisseurs, les organisations humanitaires et les ambassades limitent au maximum leurs mouvements – sauf à utiliser la voie aérienne – du fait de l’insécurité qui s’installe en Oromia.

Les embuscades incessantes de la guérilla et la perte de contrôle progressive de l’armée fédérale ont par exemple obligé le groupe français Meridiam à abandonner son projet de centrale géothermique estimé à 2 milliards de dollars, selon une enquête du média spécialisé Africa Intelligence. Les checkpoints improvisés pour prélever un impôt illégal se généralisent dans cette province agricole et minière, productrice de fleurs et de café. Le racket est exercé aussi bien par l’ALO et des bandes mafieuses non identifiées que par des milices locales parfois affiliées à l’appareil d’Etat.

Lourdes représailles

« Il faut payer sinon, tôt ou tard, tes camions seront attaqués », confie un investisseur étranger dans le café. Un autre rapporte qu’il verse 4 000 euros par mois à des bandits « pour que [ses] véhicules puissent atteindre la capitale ». Un troisième homme d’affaires signale qu’« il faut compter en moyenne le paiement de deux taxes informelles le long de la route qui relie Addis-Abeba à Djibouti », principal port d’exportation des marchandises éthiopiennes.

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Ceux qui ne collaborent pas s’exposent à de lourdes représailles. La cimenterie du magnat nigérian Aliko Dangote, située en Oromia, a vu plus de 50 de ses employés kidnappés en février 2023, puis libérés contre une rançon de près de 80 000 euros. Non loin de là, à Fincha, des dizaines d’employés chinois d’une autre cimenterie ont été enlevés quelques mois plus tard. En mars, dans cette même zone, cinq employés d’une raffinerie de sucre ont été tués faute de rançon. Quatre prêtres orthodoxes avaient subi le même sort quelques semaines plus tôt.

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Chauffeur de profession, Rooba (son nom a été modifié pour des raisons de sécurité) livrait du ciment à bord de son poids lourd. Le transport d’une telle marchandise dans un bastion de l’ALO oblige son employeur à payer un impôt mensuel à la guérilla. Cela ne l’a pas empêché d’être enlevé par des hommes armés en début d’année. « J’ai dû les suivre dans la forêt où ils opèrent. Ils étaient étonnamment bien organisés et savaient à qui demander 150 000 birrs [soit près de 2 400 euros] pour ma libération », témoigne-t-il par téléphone, terrifié à l’idée d’être identifié par ses anciens ravisseurs.

« Je ne sais pas qui ils sont. Parmi ceux qui se disent de l’ALO, il y en a qui se battent pour une cause juste, mais d’autres le font car c’est une façon pour eux de faire prospérer leurs activités mafieuses », estime Rooba. « Nous avons peur de tout le monde, nous ne savons plus distinguer un ami d’un ennemi », ajoute l’homme, qui a cessé son travail de peur d’un nouveau rapt.

« Un Etat mafieux »

« Les premiers enlèvements étaient purement politiques, contre les membres du parti. Cela s’est ensuite élargi aux entreprises et aux hommes d’affaires. Aujourd’hui, c’est hors de contrôle, ça touche tout le monde, y compris les civils », explique, sous le couvert de l’anonymat, un proche collaborateur du gouvernement fédéral : « L’insécurité est telle que les gens n’osent plus prendre la route, même pour assister aux funérailles de leurs proches. »

Son frère, un propriétaire terrien en Oromia, a passé cinq jours aux mains de bandits. Il a été libéré en échange de 7 350 euros. Une fortune pour un foyer moyen en Ethiopie. Selon lui, pour identifier leurs cibles, l’ALO et les bandits bénéficient d’informateurs dans les villes, au sein des administrations locales et des banques.

« En Oromia, la multiplication d’acteurs armés signifie que les lignes sont floues. Des fonctionnaires locaux collaborent avec l’ALO pour mener des enlèvements, alors qu’officiellement ils sont en guerre les uns contre les autres », décrypte un chercheur, qui ne souhaite pas être identifié. « L’Ethiopie prend progressivement les atours d’un Etat mafieux », conclut-il.

Pour Tsedale Lemma, « cela signifie tout simplement que le gouvernement est incapable d’exercer le monopole de la violence en Oromia et Amhara ». Ou peut-être tolère-t-il la situation ? « Abiy Ahmed semble uniquement accorder de l’importance à Addis-Abeba. Selon lui, qui contrôle la capitale contrôle le pays », dit-elle. S’il est vrai qu’Addis-Abeba concentre tous les pouvoirs – y compris économique –, c’est vite oublier que les précédents renversements de régime, en 1991 ou en 2018, ont été systématiquement l’œuvre de mouvements nés dans les périphéries éthiopiennes.

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