Les soldats israéliens et leurs blindés, cette fois, semblent avoir disparu de ce quartier, à Jénine, en Cisjordanie occupée. Alors Jaber (qui témoigne sous couvert d’anonymat), mercredi 3 septembre, part au ravitaillement, le premier depuis une semaine. Il n’y a plus rien à manger à la maison, qu’il était impossible de quitter depuis une semaine. Ses trois petites filles en remorque, avec leurs couettes nouées au-dessus de la tête et leurs tee-shirts Bugs Bunny assortis, le père de famille se hasarde dans le chaos de la rue Khalid Ibn Al-Walid, ravagée par les passages de bulldozers qui défoncent le bitume à la recherche d’éventuels dispositifs explosifs dissimulés.
Dehors, le silence règne. L’armée israélienne est entrée à Jénine le 28 août, en même temps qu’elle investissait deux autres localités du nord de la Cisjordanie (Tulkarem et les environs de Tubas), dans le cadre d’une opération d’envergure contre les groupes armés palestiniens. Vendredi 6 septembre au matin, les soldats étaient peut-être en train d’y mettre un terme. Mercredi, dans le quartier oriental où vit Jaber, après un dernier passage nocturne, les soldats semblent déjà sur le départ, se déplaçant vers d’autres parties de la ville, dans le camp de Jénine, en contrebas de la ville, par exemple. Un peu plus tard, des échanges de tirs auront lieu aussi dans le centre, près du rond-point du cinéma, cœur économique de Jénine désormais ravagée.
« Des soldats partout »
Jaber, la cinquantaine, barbu, silhouette trapue, crâne lisse, presse le pas avec, dans ses sacs plastiques, de quoi tenir quelques jours. Les petites le suivent à la queue leu leu dans la rue éventrée sur un bon kilomètre par les bulldozers blindés D9. Leur père regarde aux alentours et soupire. « Pendant plusieurs jours, il y avait des soldats partout. On ne pouvait pas mettre un pied dehors, ni se mettre aux fenêtres, sans risquer de se faire tirer dessus. » Il montre les positions qu’occupaient des snipers aux alentours, sur les toits, et ajoute : « Avant, l’armée visait les hommes. Maintenant c’est tout le monde, femmes, vieux, ou enfants. Comme à Gaza. »
A une dizaine de mètres, Tawfiq Qandil, un homme de 82 ans, qui n’avait plus toute sa tête, et était sorti de chez lui samedi, poussé par la faim, espérant trouver du pain, a été abattu non loin de la mosquée. « On lui a crié de rentrer chez lui, mais il n’a pas compris. Il a été touché, et il est resté à saigner par terre, jusqu’à ce qu’il meure », dit Jaber, mâchoires serrées. Les petites regardent dans le vague, évitent de fixer la boue, les gravats, les égouts percés, la rue de leur enfance sens dessus dessous. Et ils s’en vont, pressés, inquiets, passant devant des croisillons de fer, ceux qu’installent les membres des groupes armés pour tenter de barricader leurs rues et que les bulldozers balaient comme des fétus de paille.
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