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au Sénégal, les propos d’Ousmane Sonko ravivent une mémoire négligée


Ousmane Sonko lors d’une conférence de presse à Dakar, le 15 mars 2024.

En passant du statut d’opposant à celui de premier ministre, Ousmane Sonko n’a rien perdu de sa verve ni de son sens de la controverse. S’il s’exprimait en tant que chef de son parti, le Pastef (Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité), son message sur le réseau social X, le 28 juillet, a rouvert le débat sur le massacre de Thiaroye, en 1944.

Réagissant à la décision de Paris de reconnaître « Morts pour la France », à titre posthume, six tirailleurs tués sur ordre d’officiers de l’armée française, le chef du gouvernement a tenu à « rappeler à la France qu’elle ne pourra plus ni faire ni conter seule ce bout d’histoire tragique », ajoutant : « Ce n’est pas à elle de fixer unilatéralement le nombre d’Africains trahis et assassinés après avoir contribué à la sauver, ni le type et la portée de la reconnaissance et des réparations qu’ils méritent. »

Dès lors, à Dakar, la polémique n’a pas tardé. Sur les réseaux sociaux, sur les ondes et dans la presse quotidienne, historiens et politiciens ont lancé le débat, parfois avec virulence, sur la sortie d’Ousmane Sonko. Si Mbaye Thiam, enseignant en histoire à l’université Cheikh-Anta-Diop (UCAD) de Dakar, a dénoncé sur la radio Emedia « une polémique inutile », Mamadou Koné, professeur d’histoire et conseiller au Musée des forces armées, considère que les mots du premier ministre reflètent « ce que les Sénégalais pensent, notamment les plus jeunes ».

Une analyse partagée, sous le couvert de l’anonymat, par un cadre de l’Alliance pour la République (APR), le parti de l’ancien président Macky Sall, aujourd’hui dans l’opposition : « Force est de reconnaître qu’Ousmane Sonko a énoncé un sentiment partagé. Choisir six tirailleurs parmi tant de morts dont on sait si peu de choses… ça déplaît. Certains disent que son message est démagogique, mais est-il faux pour autant ? Même s’il est un adversaire politique, Sonko lance un débat nécessaire. » Pour lui, le sujet renvoie plus largement aux relations franco-sénégalaises, comme l’indique le message du premier ministre, mais aussi à l’entretien de « notre mémoire par nous-mêmes, Sénégalais ».

« Le Sénégal a enterré le sujet »

Le professeur Koné a, par le passé, milité pour que d’importantes fouilles soient entreprises sur le site de Thiaroye, afin notamment de déterminer combien de soldats réclamant leur solde ont été tués le 1er décembre 1944. Trente-cinq morts ont été reconnus officiellement par la France, mais plusieurs historiens estiment qu’ils pourraient être dix fois plus. « J’ai bon espoir qu’avec les nouvelles autorités, des recherches sérieuses soient lancées », dit Mamadou Koné.

Si en 2004, l’ancien président Abdoulaye Wade avait organisé une première journée de commémoration des tirailleurs durant laquelle le drame de 1944 était souligné, « sous Macky Sall, les avancées ont été moindres », juge M. Koné. « Pendant des décennies, le Sénégal a enterré le sujet de l’histoire coloniale. Le travail de mémoire n’a pas été fait comme il fallait. Aujourd’hui, il faut s’y atteler », renchérit le cadre de l’APR précédemment cité.

Pour honorer la mémoire des victimes, le président Bassirou Diomaye Faye a annoncé la création d’un comité chargé de commémorer les 80 ans du massacre. « Il est probable que cette année, le chef de l’Etat y assiste lui-même, ce qui n’est pas toujours le cas, confie un cadre de l’armée impliqué dans l’organisation ? Des délégations d’autres pays ouest-africains d’où venaient des tirailleurs pourraient aussi participer. En tout cas, nous espérons un événement important. »

Après les propos d’Ousmane Sonko, les nouveaux dirigeants sénégalais sont attendus. « Ils doivent agir, prévient un membre du Pastef. Je pense à une refonte des livres scolaires, à des fouilles, à des parutions… » Au sein du parti, des militants, membres de la commission panafricanisme, préparent un texte sur Thiaroye qui devrait être distribué aux adhérents afin de leur permettre une meilleure connaissance du sujet.

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L’un d’eux, Tamsir Bathily, qui participe aux activités du Pastef en France, appelle aussi l’Etat sénégalais à se pencher sur sa diaspora : « Il y a en France des cérémonies organisées par la communauté sénégalaise pour les tirailleurs, mais l’Etat ne les accompagne pas, ou a minima. Les jeunes de la diaspora ont pourtant besoin que cette mémoire soit entretenue. »

En réponse au message d’Ousmane Sonko sur X, le secrétariat d’Etat français chargé des anciens combattants et de la mémoire a expliqué, dans un courriel adressé au Monde mercredi, le choix d’octroyer la mention « Mort pour la France » à seulement six soldats car ce sont « des personnes nommément identifiées […] dont les dossiers, en possession du Service historique de la défense, mentionnent qu’ils sont décédés à la suite du massacre de Thiaroye ». Les autorités françaises indiquent également que « l’attribution de cette mention n’a donc pas vocation à être limitée à ces six premiers tirailleurs ».

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