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Au Royaume-Uni, des particuliers traquent les objets pillés pour les restituer à l’Ethiopie


Un bouclier impérial et une couronne de cérémonie, pillés par des soldats britanniques il y a plus de 150 ans, exposés au Musée national d’Ethiopie à Addis-Abeba, en novembre 2021.

Un clin d’œil de l’histoire. Un bouclier impérial éthiopien du XIXsiècle qui s’apprête à faire son retour à Addis-Abeba a été acquis par Ermias Sahle-Sélassié. Ce citoyen américain, né dans la capitale éthiopienne, n’est autre que le petit-fils du dernier empereur d’Ethiopie, Haïlé Sélassié Ier. « Ce que je ressens est indescriptible », s’enthousiasme le prince Ermias, quelques jours avant le rapatriement du bouclier au Musée national d’Ethiopie, prévu pour la mi-novembre.

Typique de l’Abyssinie du XIXsiècle, l’objet « a très probablement appartenu à l’empereur Tewodros [1855-1868] dans sa jeunesse », précise-t-il. Tewodros II, le « roi des rois », est considéré comme l’unificateur de l’Ethiopie moderne. Le bouclier en cuir orné de plaques de métal porte une inscription : « Magdala 1868 ». Cette année-là, la reine Victoria avait envoyé une expédition militaire de 13 000 soldats en Abyssinie pour libérer des émissaires anglais pris en otage. Après une victoire expéditive des troupes britanniques, la forteresse de Magdala, qui sert alors de capitale à l’empire éthiopien, est mise à sac et ses trésors emportés en Angleterre puis éparpillés. Tewodros II, lui, se suicidera.

La réapparition du bouclier de l’empereur est en partie due au hasard. Après avoir fait partie des prises de guerre en 1868, il s’est évaporé dans des collections privées en Europe pendant plus de 150 ans jusqu’à sa récente réapparition. « Nous savons qu’il a un moment appartenu à une grande famille de l’aristocratie anglaise », affirme Ermias Sahle-Sélassié. Puis il change de main après la seconde guerre mondiale. En février, les descendants du propriétaire souhaitent s’en débarrasser. Une maison britannique de vente aux enchères, Anderson & Garland, le place sur son catalogue. Les autorités éthiopiennes le repèrent et demandent la restitution du bouclier « acquis illégalement ».

La vente est annulée, « mais la maison de vente aux enchères refusait de le rétrocéder gratuitement », explique Ermias Sahle-Sélassié. L’acheter devient la seule façon de le rapatrier en Ethiopie. « Je me suis porté volontaire », poursuit le petit-fils d’Haïlé Sélassié Ier, qui acquiert l’objet au prix de vente initial : 1 200 livres sterling (quelque 1 400 euros).

La traque des reliques de Magdala

Manuscrits médiévaux, couronnes impériales, bijoux, boucliers et croix de l’Eglise orthodoxe… Si les objets de Magdala ont une telle importance aux yeux des Ethiopiens, c’est que leur pays n’a jamais connu un tel pillage au cours de son histoire millénaire. Ceux ayant le plus de valeur – environ 830 objets – ont été accaparés par l’envoyé du British Museum et ramenés à Londres à dos d’éléphants et de mules. Le reste des objets a été distribué entre les soldats. Ces milliers d’objets ramenés sous l’uniforme ressurgissent à intervalles réguliers au Royaume-Uni, au gré de ventes aux enchères ou de découvertes fortuites. Leur dispersion rend leur traque complexe.

« Beaucoup de gens retombent sur des croix, des bracelets, des boucliers par hasard, dans les greniers, au milieu des bibelots de leurs grands-parents, lors de successions familiales », affirme Andrew Heavens, auteur du livre The Prince and the Plunder (The History Press Ltd, 2023). Fiona Wilson en sait quelque chose. Cette professeure britannique à la retraite a fait sensation en 2004 en restituant à l’Ethiopie un bouclier impérial de Magdala que ses aïeuls détenaient depuis les années 1890.

« J’ai passé mon enfance à le voir sur le mur de notre salle à manger. Ma famille pensait que c’était une armure traditionnelle écossaise, raconte-t-elle. En 2003, je me rends en Ethiopie pour le travail (…). J’en profite pour visiter le Musée national et je reconnais un bouclier similaire ! » Quelques mois plus tard, elle rapatriera « son » bouclier dans la capitale éthiopienne, où il est depuis exposé.

Le plus souvent, ce sont les autorités éthiopiennes, des philanthropes ou des membres de la diaspora qui traquent les reliques de Magdala dans les catalogues des maisons de vente aux enchères. Une chasse similaire à celle menée par des hommes d’affaires chinois désireux de retrouver les trésors perdus lors du sac du Palais d’été à Pékin, qui s’est déroulé à la même époque (1860). En 2021, la plus grande restitution de l’histoire de l’Ethiopie – une vingtaine d’objets – a été le fruit d’une initiative privée. Ces trésors ont été chinés au Royaume-Uni puis achetés par l’écrivain Tahir Shah, via la Fondation philanthropique Shéhérazade.

La dissimulation au public

« S’il est possible de convaincre les familles de descendants de soldats et les maisons de vente aux enchères de restituer ou léguer les objets, les musées font toujours de la résistance », affirme Alula Pankhurst, anthropologue et membre de la Fondation pour le patrimoine éthiopien. Des centaines de reliques de Magdala se trouvent à Londres, au British Museum, à la British Library ou encore au Victoria & Albert Museum. Ces institutions « se retrouvent empêtrées dans des procédures administratives et législatives » et « ne restituent que très rarement les objets », regrette l’écrivain Andrew Heavens, selon qui cette réticence « augmente le ressentiment » des pays lésés tels que l’Ethiopie.

Depuis mars, une enquête diligentée par le Parlement britannique vise les régisseurs du British Museum. Ces derniers sont accusés d’avoir caché des détails importants à propos de onze tabots – des répliques de l’Arche d’alliance – qui croupissent dans les sous-sols. Pillées à Magdala en 1868, ces tablettes sont considérées comme sacrées dans la tradition orthodoxe éthiopienne. Les administrateurs du musée ont donc cru bon de ne jamais les exposer, ni au public, ni même aux chercheurs depuis 150 ans. C’est précisément pour cette raison – leur dissimulation au public – que les autorités éthiopiennes réclament leur retour à Addis-Abeba.

En parallèle de la demande de restitution des tabots du British Museum, le gouvernement éthiopien est engagé dans un autre bras de fer symbolique avec le Royaume-Uni : il réclame le retour en Ethiopie de la dépouille du prince Alemayehu, le fils de l’empereur Tewodros II, capturé par l’armée britannique à Magdala puis emmené à seulement 7 ans à Londres, où il mourra à 18 ans, en 1879.

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Depuis, ses restes sont inhumés dans les catacombes de la chapelle Saint-Georges du château royal de Windsor. Malgré les demandes répétées, Buckingham Palace refuse de remettre sa dépouille à l’Ethiopie. Une décision qui contraste avec la restitution privée d’une mèche de cheveux ayant appartenu au prince Alemayehu, en septembre 2023. Celle-ci a été retrouvée dans les affaires de famille du capitaine Tristam Speedy, le précepteur du prince Alemayehu. Les descendants de l’officier britannique qui ont retrouvé la mèche de cheveux par hasard en Nouvelle-Zélande ont fait le voyage jusqu’à Londres pour la remettre à l’ambassade d’Ethiopie.

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