LETTRE DE MONTRÉAL
Le gouvernement conservateur de l’Alberta, dans l’ouest du pays, cible les personnes transgenres avec trois projets de loi, déposés le 31 octobre. Un premier obligerait les jeunes de moins de 16 ans à obtenir le consentement de leurs parents s’ils souhaitent changer de pronom en classe. Un second refuserait aux médecins de soigner les adolescents de moins de 16 ans qui veulent recevoir des bloqueurs de puberté ou de l’hormonothérapie. Un troisième interdirait aux sportives transgenres de participer à des compétitions féminines amateur. La première ministre albertaine, Danielle Smith, assure que ces textes sont des « garde-fous » pour protéger les jeunes.
Un conseil consultatif lié à l’agence provinciale de la santé considère pourtant que ces décisions sont « politiques » et éloignées des directives cliniques, d’après des documents obtenus par CBC News. « Les bloqueurs de puberté donnent aux jeunes un temps de réflexion supplémentaire [avant de possibles opérations chirurgicales de transition] », note la professeure à l’école de travail social de l’Université de Montréal, Annie Pullen Sansfaçon. Ils permettent de suspendre le développement des caractères sexuels secondaires. Dès l’arrêt du traitement, celui-ci reprend normalement. En France, 11 % des jeunes accompagnés dans une transition de genre ont accès à ces bloqueurs, d’après la Défenseure des droits.
Plusieurs associations canadiennes veulent contester ces textes dans les tribunaux. April Friesen, présidente de Trans Equality Society of Alberta, est encore stupéfaite de ces annonces. La femme transgenre de 56 ans, aux longs cheveux gris, s’anime d’une colère froide. « Je peux vous dire comment l’absence de bloqueurs de puberté, à mon époque, m’a affectée. Normalement, le jour où la puberté arrive, on est heureux. Pour moi, ce fut le pire jour de ma vie. Depuis mes cinq ans, je savais que j’étais une fille. Puis mon corps m’a trahi. Vous entendez ma voix grave ? Si j’avais eu des bloqueurs, elle serait belle aujourd’hui. »
« Le gouvernement croit que c’est un jeu »
Au Canada, les prérogatives en matière de santé sont partagées entre Ottawa et les provinces, mais ces dernières ont la plus grande marge de manœuvre. Avec ces projets de loi, l’Alberta vient nourrir une vague conservatrice qui se fait sentir ailleurs au pays. Deux autres provinces imposent déjà aux adolescents d’avoir l’aval de leurs parents avant de pouvoir changer leur pronom.
Il vous reste 54.68% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.