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A Cuba, la pire crise sociale depuis l’effondrement du bloc soviétique


Un pêcheur avec son radeau improvisé en polystyrène pour pallier le manque de moyens et de carburant, à La Havane, le 22 juillet 2024.

Cuba donne toujours cette impression d’un pays où le temps s’est arrêté. Pas de publicités criardes dans ses rues ni de marques sur ses devantures ; aucun trafic sur ses avenues, et bien peu de produits chimiques dans son alimentation. Le seul élément moderne qui tranche dans ce décor, ce sont les smartphones sur lesquels des habitants pianotent désormais : détenus par plus de 80 % de la population, ils sont devenus indispensables pour s’informer, payer, changer de l’argent et faire des affaires. En parallèle, les Cubains continuent de se déplacer surtout à pied et à vélo. La moindre voiture ou moto constitue un patrimoine exceptionnel qui permet, en devenant chauffeur, de gagner dix fois le salaire d’un médecin ou d’un professeur.

Malgré une idéologie se revendiquant du socialisme, les inégalités sont désormais criantes au sein de la société entre ceux qui travaillent pour l’Etat et ceux qui possèdent d’autres revenus. Au dire des Cubains, la crise sociale actuelle est bien pire que celle de la « période spéciale », au moment de l’effondrement du bloc soviétique à partir de 1991, la plus grave qu’avait connue l’île jusque-là.

A La Havane, sur le Malecon, la promenade qui longe la mer, les décapotables américaines des années 1950 emmènent toujours les touristes découvrir la capitale. Elles roulent à côté des vieilles Lada venues d’URSS, comme celle conduite par Romulo (tous les prénoms ont été changés) gagnée par son père pour avoir combattu pendant la guerre d’indépendance en Angola (1975-2001).

« Il faut avoir la fe [foi] pour vivre à Cuba », dit-il en appuyant bien fort sur le pommeau pour enclencher une vitesse. La fe ne signifie pas d’adhérer à une croyance, mais d’avoir une famille à l’étranger. « Il suffit de recevoir 50 dollars [45 euros] par mois ou quelques habits que tu peux revendre pour vivre bien, raconte Romulo. Mais si tu n’as pas ça ou une voiture, alors tu es ce que le gouvernement appelle un “vulnérable” pour ne pas dire un “pauvre”. Mais dans les faits, tous les jours, tu luttes pour survivre. »

« Voitures incompatibles avec notre société »

A 27 ans, Romulo aurait aimé travailler comme ingénieur, après six ans d’études à l’université de La Havane. Mais le salaire qui l’attendait (10 000 pesos cubains, soit 30,30 euros) ne lui permettrait pas d’élever son fils de 2 ans ni d’aider ses parents, dont la retraite (1 200 pesos) équivaut aujourd’hui à un carton de trente œufs.

Alors, il conduit à regret la Lada, connecté sur l’application La Nave, un Uber cubain, et gagne très bien sa vie. « En une journée, je gagne 12 000 pesos, soit dix fois la retraite de mon père ou le même salaire mensuel qu’un médecin, raconte-t-il. C’est fou, c’est injuste, et le gouvernement le sait très bien : la plupart des Cubains ne peuvent se payer le prix d’une course et j’en fais pourtant plus de dix par jour. »

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