Professeur émérite à l’université Sorbonne Paris Nord, ancien directeur scientifique de la revue Tiers Monde, auteur d’ouvrages traduits en diverses langues, pédagogue surdoué capable de rendre intelligibles des questions très complexes, Pierre Salama a formé plusieurs générations d’étudiants et de militants dans un marxisme hétérodoxe, ouvert sur les réalités contemporaines. Il est mort à Paris, des suites d’un cancer, vendredi 9 août, deux jours avant de fêter ses 82 ans.
Pierre Salama est né à Alexandrie, en Egypte, le 11 août 1942, comme un signe du destin qui le portera vers le grand large et l’amour des livres. Sa jeunesse d’étudiant engagé contre les guerres d’Algérie puis du Vietnam est marquée par le militantisme, communiste puis trotskiste (version Ligue communiste révolutionnaire).
La rencontre décisive avec l’ancien ministre brésilien Celso Furtado, exilé à Paris où il prodigue son enseignement, lui fait découvrir l’Amérique latine, devenue son terrain de recherche privilégié. M. Salama professe un retour à Marx, mâtiné par l’école économique de Cambridge, à contre-courant d’un contexte idéologique dominé par Louis Althusser et ses disciples. Sa thèse de doctorat en Sorbonne, sur les limites de l’accumulation du capital national dans les économies semi-industrialisées (1970), est immédiatement traduite en italien, en espagnol et en portugais, sous le titre Le Processus de « sous-développement ».
A l’affût de l’actualité
Le goût de l’aventure collective l’amène à participer à deux initiatives singulières : la revue trimestrielle Critiques de l’économie politique, fondée en 1970 avec ses camarades Jacques Valier et Jean-Luc Dallemagne, et le Groupe de recherche sur l’Etat, l’internationalisation des techniques et le développement, qu’il anime pendant une dizaine d’années dans un esprit résolument pluridisciplinaire. La revue éditée par François Maspero connaît un grand succès, en dépit de son ambition théorique : plusieurs numéros sont d’ailleurs repris en format de poche. L’Introduction à l’économie politique, coécrite par MM. Salama et Valier (Maspero, 1974), est vendue à 70 000 exemplaires, l’édition espagnole à 40 000, sans compter dix autres traductions.
Pierre Salama pratique le comparatisme, alors peu courant dans l’université française, et inconnu des économistes latino-américains enfermés dans le carcan national – voire nationaliste. Voyageur infatigable, il fait du terrain et entretient ses réseaux d’interlocuteurs, au Brésil, en Argentine, au Mexique, en Colombie ou encore au Chili. Ce fort en mathématiques assimile de manière critique toutes les données disponibles, mais il est aussi un littéraire, qui avoue avoir appris davantage avec le roman latino-américain qu’avec les rapports de la Banque mondiale. Il signe notamment Le Défi des inégalités. Amérique latine/Asie : une comparaison économique (La Découverte, 2006) et Les Economies émergentes latino-américaines. Entre cigales et fourmis (Armand Colin, 2012).
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