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au Sénégal, des passeurs de migrants sur le banc des accusés


Une équipe de sauvetage à Mbour, au Sénégal, le 9 septembre 2024, après le naufrage d’une pirogue transportant plus d’une centaine de migrants.

Il est un peu plus de 11 heures, mardi 24 septembre, lorsque le procureur du tribunal de grande instance de Mbour, à 70 km au sud-est de Dakar, hausse subitement le ton. « C’est à cause de gens comme vous que les drames de l’immigration se succèdent, gronde-t-il devant une salle d’audience comble. Vous tuez nos fils et vous voulez continuer votre vie comme si de rien n’était. »

Face à lui, sur le banc des accusés, Cheikh Sow, 35 ans, se montre encore plus fébrile. Ses jambes tremblent. Voilà une heure qu’il se débat confusément pour répondre à la question suivante : a-t-il participé, de près ou de loin, à l’organisation d’un trafic de migrants ? « Ces gens que vous dites avoir hébergés quelques jours, vous les avez aussi guidés vers une pirogue en partance pour l’Espagne ? », interroge le procureur. « Oui… », marmonne l’accusé. Après plusieurs minutes de vifs échanges et un haussement d’épaules, il finit par reconnaître des « responsabilités » et « demande pardon à tout le monde ».

Ce matin-là, outre Cheikh Sow, seize accusés défilent à la barre dans différentes affaires de « trafic de migrants », de « tentative de trafic de migrants » ou d’« escroquerie » de migrants. Face aux drames successifs de la migration clandestine, cette audience a une résonance particulière. Le dernier date de dimanche : 38 corps sans vie ont été retrouvés à bord d’une pirogue à la dérive à 70 km au large de Dakar. Le procureur ne manque pas de le rappeler : « Vous avez vu cette pirogue retrouvée à la dérive ? C’est à ça que mènent vos actes ! »

Une « traque sans répit »

Accusés, partie civile, représentants de l’Etat et du pouvoir judiciaire : tous savent que les départs clandestins depuis Mbour se font à quelques centaines de mètres du tribunal, principalement dans le quartier de pêche de Tefess. Le 8 septembre, au moins 39 personnes ont péri dans le naufrage d’un navire surchargé. Des dizaines d’autres sont toujours portées disparues. Trois jours plus tard, le président Bassirou Diomaye Faye, élu le 24 mars et confronté à son tour à la succession de tels drames en mer, s’est rendu sur place en soutien aux familles endeuillées. Le chef de l’Etat a alors annoncé une « traque sans répit » des passeurs et la mise en place d’un numéro vert pour les dénoncer.

Cheikh Sow a ainsi été arrêté le 19 septembre après qu’un candidat à l’émigration, Omar Sène, l’a dénoncé. Leur pirogue avait dû débarquer ses passagers en raison d’un problème moteur. Interrogé par la présidente du tribunal, le jeune candidat à l’exil déballe tout, profitant du principe de l’immunité des victimes de trafic de migrants prévue par la loi. Il raconte son arrivée depuis sa région natale de Fatick, son hébergement pendant cinq jours par Cheikh Sow, le transfert dans un vieux taxi-brousse sur la plage de Tefess, l’embarquement sur une petite pirogue, puis une plus grosse, les autres passagers (« une centaine », selon lui), les téléphones confisqués…

Sans oublier la somme déboursée : 480 000 francs CFA (soit 732 euros). « Il m’a par la suite demandé 300 000 francs CFA de plus pour pouvoir retenter la traversée », précise Omar Sène. Acculé, l’accusé cherche toutefois à obtenir la clémence du tribunal, reconnaissant être un maillon du réseau de passeurs, mais pas son organisateur principal. L’audience aura ainsi permis d’établir quelques chaînes de responsabilité. A côté de Cheikh Sow, un autre jeune homme, Mame Mor Ndiaye, chauffeur de taxi de 22 ans, est accusé de complicité dans le même trafic pour avoir conduit les candidats à la migration.

« Dans une filière, il existe au moins quatre types de profil », explique le commissaire Omar Boun Khatab Guèye, à la tête de la Division nationale de lutte contre le trafic des migrants et pratiques assimilées (DNLT) : « Il y a des recruteurs qui vont à la rencontre des migrants, des hébergeurs, l’organisateur qui glane l’ensemble des sommes d’argent et organise le voyage, puis les capitaines qui vont composer l’équipage de la pirogue en navigation. » L’une des difficultés étant de les attraper tous en même temps.

Des peines peu dissuasives

Selon la DNLT, en l’espace d’un an, le nombre d’interceptions de pirogues au large du Sénégal a plus que doublé, passant de 25 en 2023 à 61 rien qu’au premier semestre de 2024. Les arrestations de passeurs présumés ayant conduit à un défèrement ont elles aussi bondi, passant de 127 au premier semestre 2023 à 210 en 2024. « Le phénomène est lié à l’augmentation significative des départs, mais aussi à une professionnalisation de la police sénégalaise, avec désormais sept antennes de la DNLT implantées partout sur le territoire », rapporte le commissaire Guèye.

Selon la loi du 10 mai 2005, le trafic de migrants est un délit puni de cinq à dix ans d’emprisonnement et d’une amende allant de 1 million à 5 millions de francs CFA (de 1 524 à 7 622 euros). « Dans les faits, les peines sont beaucoup moins lourdes et donc moins dissuasives », observe Oumar Sène, avocat de la défense basé à Mbour, qui prône une criminalisation du trafic de migrants avec une période de sûreté de dix ans : « J’ai récemment défendu quelqu’un qui a reçu 120 millions de francs CFA [183 000 euros] pour faire voyager des migrants. Je peux déjà vous dire qu’il ne va pas s’arrêter avec six mois de prison… »

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Dans le cas de Cheikh Sow, le procureur a requis deux ans de prison, dont un an ferme, pour « tentative de trafic de migrants ». Et un an, dont six mois ferme, pour le jeune chauffeur de taxi Mame Mor Ndiaye, accusé de « complicité ». Le délibéré sera connu le 1er octobre.

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